Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les Rues de Lyon - Page 4

  • Prunelle

     

    06-F19DAU008938.jpg  C’est une petite rue de quelques trente mètres, sur ce qu’on appelle ici « les pentes ». Elle débouche sur la place Rouville et l’une des plus belles vues de Lyon. Au cœur du quartier des tisseurs, par décision du conseil municipal en date du 9 mars 1843, elle honore un homme qui pourtant ne fut pas très tendre avec les canuts du XIXème. Gabriel Prunelle fut l’une des ces grandes figures médicales dont s’enorgueillit la bourgeoisie lyonnaise au XXème siècle. Né le 23 juin 1777, à la Tour du Pin, il partit étudier la médecin à Montpellier où il passa sa thèse en 1800 et se lia d’amitié avec le chimiste Jean-Antoine Chaptal. Il fut nommé bibliothécaire de l’école de médecine de cette ville et profita de ce poste pour effectuer maints détournements dans diverses bibliothèques publiques de France. Ces rapines indélicates eurent beau être dénoncées, il fut nommé professeur de Médecine Légale de la Faculté de Montpellier, lors de sa création en 1807.

    Il se maria à une riche lyonnaise, fille de soyeux, et s’établit en 1821 dans la capitale des Gaules, où il exerça la médecine quelques années avant de s’intéresser à la politique. Son engagement auprès des libéraux en fit un opposant à la Restauration et le cofondateur du journal le Précurseur. C’est lui qui présida le banquet de cinq cents couverts offert par des loges maçonniques au vieux général de la Fayette, le 6 septembre 1829. Il est connu pour avoir commis auprès de Mme de Chateaubriand qui l’avait consulté lors d’un de ses passages à Lyon une grossière erreur de diagnostic.

    Prunelle devint maire de la ville en 1830, tous les autres candidats s’étant récusés. Cette même année le vit élu député de l’Isère. Il mérita grâce à ce siège quelques mots de Stendhal qui le traita de « député vendu ». Durant son mandat de cinq ans, deux émeutes éclatèrent dans sa ville (1831 et 1834). Lors des événements de novembre 1831, le maire Prunelle brilla par son absence, dont il fit habilement un argument politique contre le préfet Bouvier Dumolard : lorsqu’il fallut rendre des comptes, il rédigea pour Casimir Perrier un rapport sévère sur la carence des autorités militaires et préfectorales. Nommé médecin inspecteur des eaux de Vichy en 1833, il brilla à nouveau par son absence durant les révoltes de 1834 et les mutuellistes lyonnais qui dénoncèrent sa « haine des travailleurs » et son « mépris du peuple », obtinrent sa démission le 8 mai 1835. Habilement, Prunelle finit sa carrière maire de Vichy.

    Il meurt le 20 août 1850, après une journée passée en compagnie d’Adolphe Thiers. A Vichy aussi, une rue lui fut consacrée, celle-là même où se trouve l’Hôtel du parc où résida Pétain.

    Lyon lui doit l’organisation de l’école La Martinière, fondée grâce à l’héritage du major Martin. Il fit aussi restaurer le Palais Saint-Pierre et ouvrir le quai de la Pêcherie. C’est enfin lui qui  ordonna les tous premiers essais d’éclairage au gaz dans quelques rues et obtint le partiel rétablissement des Facultés des sciences et des Lettres, lesquelles avaient été supprimées pendant la Restauration.

    Daumier, qui le caricatura sur la demande de Charles Philipon comme tous les notables du « juste milieu » l’avait surnommé monsieur Prune. Au musée d’Orsay, on peut admirer aujourd’hui son buste parmi les 36 réalisés entre 1832 et 1836 par le dessinateur du journal La Caricature.

    Prunelle.jpg

  • Pierre Scize

    « Parmi les vieux châteaux dont la France se dépouille à regret chaque années, il y en avait un, d’un aspect sombre et sauvage, sur la rive gauche de la Saône… » écrit Vigny dans Cinq-Mars.) « Du puissant château fort, pas même une ruine ! », récite de son côté un poète local méprisé : Comme l’ont chanté l’illustre Vigny ainsi que l’obscur Amédée Matagrin, lorsque le temps fut venu, l’immense forteresse du quai Pierre Scize, qui avait servi de prison durant des siècles et dont le nom venait de la pierre scize ( pierre fendue) sur l’ordre d’Agrippa, et qu’on pourrait nommer la Bastille lyonnaise, disparut corps et bien.

    Pierre Virès, qui dans son roman Les Gueux de Lyon raconte le siège du château par les gueux de Lyon, en 1588, le décrit brièvement : « Sur ce versant regardant Vaise, les obstacles naturels avaient toujours semblé assez infranchissable pour ne pas exiger de surveillance ; il n’en était pas de même du côté de la Saône. Là, un large fossé protégeait les abords, et une arche de pierre très étroite, fermée par une grille, donnait seule accès à un escalier de cent trente deux marches creusées dans le roc, véritable échelle de granit par laquelle on parvenait à ce nid d’aigle, appelée la forteresse de Pierre Scize. »

    Les quelques nuits que Cinq Mars et de Thou y passèrent, avant leur exécution en 1642 sur la place des Terreaux, sont rapportés en 1831 par Léon Boitel :

    « MM. De Cinq Mars et de Thou, conduits à la forteresse de Pierre-Scize, l’instruction de leur procès commença dès le lendemain. Le château de Pierre-Scize, autrefois siège du pouvoir sacerdotal, était devenu prison d’état sous Louis XI. De 5MarsPierre-Scize.jpgnoires murailles entourées de bosquets, des tours bizarrement dessinées formaient, avec la forteresse de l’autre côté de la rivière, une masse imposante de fortifications qui se reflétaient dans la Saône. C’est là que, durant huit jours, les prisonniers se préparèrent, par la prière, à une mort qu’ils attendaient avec résignation »

    Le 9 septembre 1791, le château fut pris par la foule. Dans les colonnes du Salut Public, Désiré Bigot publie en feuilleton en 1850 un roman, Le gone de Saint-Georges, qui retrace ces événements sanglants tout en romançant le déroulement :

    « De vagues rumeurs grondaient dans la ville depuis deux ou trois jours. On parlait de meurtres et d’assassinats, contre les prêtres surtout. Mais personne n’ajoutait foi à ces propos. Dans tous les coins, on était loin de penser que les égorgeurs oseraient se présenter contre le fort de Pierre Scize, dont l’entrée pouvait être facilement défendue. Les gardes nationaux n’avaient donc aucune inquiétude, lorsque dans l’après-dînée, à quatre heures environ, la sentinelle qui se promenait à la porte Basse signala l’approche d’une foule menaçante qui s’avançait par le quai Bourgneuf : presque en même temps, une autre bande paraissait dans le chemin de Montauban, venant prendre la forteresse en flanc, pendant que la troupe principale l’abordait de front. »

    Le texte est à peine romancé : la foule ne parvint à tuer ce jour-là à que huit des neuf prisonniers retenus alors dans la forteresse. Mais la violence que subirent ces malheureux fut extraordinaire : après les avoir sauvagement décapités, on porta leurs têtes au bout d’une pique par toute la ville, jusqu'à la scène du théâtre des Célestins.
    En 1793, l’ancienne résidence des archevêques, dernier vestige conséquent des burgondes à Lyon, fut entièrement démoli sur l’ordre de Couthon, en même temps que 161 maisons du quai Bourgneuf. Lyon perdit ce jour-là l’un de ses plus paysages les plus pittoresques, dont on ne peut plus admirer le romantique aspect que sur d'anciennes toiles ou gravure. Dans la réalité, seul demeure le roc qui donna son nom à ce quai, lequel abrite l'Homme de la Roche. Placée sous une grotte et encadrée de vigne-vierge, cette statue fut érigée  à  la mémoire de Jean Kléberger, « le bon Allemand »  (vers 1486- 1546). Ce fut d’abord une statue en bois coloriée, le représentant en héros romain.

     Né à Nuremberg, ce négociant  avait obtenu le droit de cité lyonnaise en 1536 après avoir sillonné le pays de foires en foires et spéculé pour son propre compte jusqu’à devenir l’un des banquiers officieux de François 1er qui menait alors ses guerres d’Italie. Il habita une maison à présent détruite au 93 rue des Farges ( des forges – ou ateliers) et fut l’un des premiers administrateurs de l’Aumône générale à laquelle il légua à sa mort pas moins de quatre mille livres. La tradition veut qu’il dotât les filles pauvres de ce quartier populaire de Bourgneuf.  Aucune fondation ne porte cependant son nom. Monsieur Josse, dans son livre « A travers Lyon » remet en doute cette belle légende, rappellant que « trop souvent, cette libéralité posthume n’a eu d’autre objet que d’expier des libéralités moins avouables et pratiquées en sens contraire, au cours d’une existence facile. »

    (1)  Monsieur Josse, A travers Lyon, 1887, p. 98

    pa1200hr_1_thumbnail.jpg

  • Interlude

    Les rues de Lyon se vident en été. Il y fait poisseux. On y croise certes quelques touristes en shorts et casquettes à visières, un plan déplié à la main, suivant scrupuleusement ou non les recommandations du syndicat d’initiative. Où est passé Marcel Rivière ?  Au large, sans doute, sur une goélette, le chanceux retraité.

    Les rues de Lyon s’animeront à nouveau l’automne revenu. L’automne est la vraie saison du commerce des hommes. La bonne société, comme on disait du temps de son enfance, retrouve ses quartiers, et Marcel Rivière s’anime à nouveau. On reconnait son pas sur les trottoirs. La saison recommence. Quel bon moment, que la rentrée…

    En attendant que s’achève le lourd, le bleu, le vide été, demeure la trace de ses promenades, de ses lectures, d’un arrondissement à l’autre.

     

    A bientôt

     

    DSCN5680.jpg
    Les promenades de la place Bellecour, 1907
  • Tables Claudiennes

    On doit à un drapier hôtelier du nom de Roland Gribaud la découverte, en 1528, des deux tables sur lesquelles avait été gravé le discours de l’empereur romain Claude, enfouies jusqu'alors dans un champ de vignes de la côte Saint Sébastien, sur les pentes de la Croix-Rousse. Roland Gribaud avait acheté le terrain au dénommé Claude Besson en 1524, et y entreprit la construction d'une maison. C'est en faisant miner le terrain de vignes qu'il trouva deux grandes tables d'airain ou de cuivre antiques et toutes écrites (1)

    Pressentant que les textes gravées sur ces belles antiquailles de cuivre ou d’airain pourraient servir « à connaître l’ancienne dignité de cette ville de Lyon », le magistrat Claude Bellièvre (1487-1557) les lui achèta donc au nom de la ville pour la somme de « cinquante huit écus soleil ». Sur ce même rapport Bellièvre note :

    « Ce sera grande consolation aux gens de la ville quand ils verront un certain témoignage de la dignité de leurs majeurs ce qui servira d’aiguillon à la vertu pour l’imitation desdits majeurs et sera davantage un grand honneur à toute la ville pour ce que quand les bons seigneurs et savants personnages par ci passant verront que la ville tient bon compte de l’antiquité qui est à vénérer, et des choses doctes, ces passants auront la présomption véhémente que cette ville est peuplée de gens de biens »

     

    Ci-dessous, le texte de la quittance de Roland Gribaud :

    Je Roland Gribaud, soubzsigné, confesse avoir receu de Monsieur le Trésorier de la ville Charles de La Bessée, cinquante huit escuz d'or soleil vallans CXVIII XVI pour les deux tables métail anticques que j'ai vendues à Messieurs les Conseillers de la dite ville mentionnées au présent mandement et prometz que si je puis retrouver en tout ou partie les pièces que par rupture sont distraictes des dites tables, je les délivreray à mes dits sieurs et que payant seullement la valleur du matail à l'extime commune. Et d'avantaige que s'ils veullent faire sercher les dits restes au font où ont esté trouvées les dites tables, que le pourront faire à leurs despens en me dédommaigeant raisonnablement si aucun dommage il m'estoit fait au moyen de la dite serche.

    Fait le XIII mars MVC vingt huit .

    Exposées jusqu’en 1611 dans le premier Hôtel de Ville de Lyon (la maison Charny, dont l’entrée principale se trouvait rue Longue), les Tables suivirent le Consulat lorsqu’il emménagea dans la maison de la Couronne, rue de la Poulaillerie, où il leur fit édifier, pour les abriter, un monument dans la cour. En 1657, elles rejoignirent l’actuel Hôtel de Ville commencé par Simon Maupin, place des Terreaux. Elles y demeurèrent jusqu’en 1814, époque où elles furent transférées au Palais des Beaux-arts. Elles forment aujourd'hui l'une des pièces maîtresses du musée gallo-romain à Fourvière.

     

    Leur premier traducteur fut, en 1537, le médecin-érudit Symphorien Champier (1472-1539 ?).

    C’est enfin Guillaume Paradin, l’auteur des Mémoires de l’histoire de Lyon (1573) qui, le premier, mit en lumière le fait que Lugdunum, l’antique capitale des Gaules, possédait, d'après le texte gravé, tous les droits attachés au titre de colonie romaine.

    L’odyssée de ces tables découvertes par hasard dans un champ de vignes et devenues tables de la cité au fil des nombreux déménagements de son élite d’un hôtel de ville à l’autre, et qui ne contiennent qu’un discours de l’empereur Claude, natif de Lugdunum, au sénat romain en faveur des députés de la Gaule Chevelue, témoigne en filigrane d’une revendication permanente de grandeur de la part de la ville, au nom d’une origine célébrée par le mythe de sa fondation. Dans son Histoire du Moyen-âge, Michelet, fort enthousiaste envers Claude, reprend avec lyrisme cette lecture partiale et partisane :

    « Si Claude eût vécu, il eût donné le droit de Cité à tout l’Occident, aux Grecs, aux Espagnols, aux Bretons et aux Gaulois. Le discours qu’il prononça en cette occasion, et que l’on conserve encore à Lyon sur des tables de bronze, est le premier monument authentique de notre histoire nationale, le titre de notre admission dans cette grande initiative du monde »

     

    . La formule a fait rêver, depuis, bien des enfants : « Il faut, disait le texte de la Table, il faut sauver la Gaule Chevelue... »

    Et c'est donc cette découverte que commémore l'appellation de Tables Claudiennes, conférée depuis à l'une des rues construite sur les terrasses de l'ancien Sanctuaire d'Auguste.

     

    (1) Délibération consulaire reltive à l'acquisition de la Table de Claude par la Ville (nov. 1548)

     

     

    tables claudiennes.jpg
  • Jean de Tournes

    Jusqu'en 1863, c'était la rue Raisin, en raison de l'enseigne d'une vieille imprimerie. Le fameux Jean de Tournes (1504, 1564), originaire de Noyon, et d'abord élève de Sébastien Gryphe, fonda au n°7 de cette rue une dynastie d'imprimeurs de renommée. Son atelier se trouvait alors « à l'enseigne des deux Vipères ». Sa devise était : « Quod tibi fieri non vis, alteri ne feceris » Jean de Tournes avait également une autre marque : un ange debout, avec cet anagramme de son nom : Son art en Dieu. Il y publia notamment les poésies de Louise Labé ainsi que les œuvres de son amie Pernette du Guillet. Il laissa en mourant une partie de sa fortune aux pauvres de Lyon. En 1585, son fils Jean II fuit la ville et alla s'installer à Genève, où Jean III prit sa succession. Ce n'est qu'en 1727 que les petits-fils de ce Jean III (Jean et Jean-Jacques) rouvrirent une imprimerie à Lyon. Le peintre Trimollet, plus tard habita rue Raisin.

     

     
    Il serait indécent de quitter la rue Jean de Tournes sans évoquer l'ombre de Marius Guillot dont le bistrot Au Mal Assis fut lui à seul une légende. Dans son Histoire des bistrots de Lyon, le journaliste disparu Bernard Frangin explique qu'une évidence s'impose : « Le premier bistrotier, ni dans le temps ni dans l'espace, mais dans le prestige, fut Marius Guillot, le débonnaire dictateur du Mal Assis de la rue Jean-de-Tournes, l'étoile polaire vineuse de ce milieu de siècle » (il parle du vingtième, bien entendu). Portant de grosses lunettes d'écailles, les manches toujours retroussées quand il n'était pas en polo, Marius régnait tel un Jupiter sur un Olympe de marbre : Frangin raconte qu'un jour, Yves Montand poussa la porte et demanda s'il pouvait manger. Il s'entendit répondre : « On ne sert que les amis ».

     L'endroit était le temple de la charcuterie chaude. Au mur figuraient des cadres de tous genres. Le plus original était sans doute une tranche de jambon millimétrique sous verre, que Me Floriot avait envoyé de Genève, tranche sous laquelle était écrit : « Tu es battu. J'en ai trouvé un qui coupe encore plus fin que toi! ». Tous les artistes aux Célestins en tournée passaient par le Mal Assis. Francis Blanche et Pierre Dac y répétèrent leur numéro de transmission burlesque, avant de l'enregistrer au Palais d'Hiver. En 1934, Marcel Grancher, l'écrivain lyonnais, écrivit un roman sur ce bistrot aussi surréaliste que fou où se retrouvèrent, de Jean Louis Barrault à Fernand Raynaud - adepte du Morgon de Marius, tous les artistes de passage. La rue Jean de Tournes y devient la rue de la Teinturerie, Marius, Pétrus. Etonnant roman. C'est dans ce roman que Grancher laisse tomber cette phrase prémonitoire : « D'ici cinquante ans, Lyon sera une ville dans le genre de Bruges... »

    La vitrine du Mal Assis était une immense volière où trônaient ce que le patron appelait « ses perchoirs à musique ». On vous servait à boire, assis sur des tonneaux posés sur la tranche (d'où le nom du lieu). Les notes de Marius étaient non détaillées et ne comportaient que deux lignes : une pour le liquide, une seconde pour le solide; tradition de la maison. Lorsqu'il vendit son local, sa serveuse devint cuisinière à Saint-Georges-de-Reneins. Marius s'y rendait souvent.

    « Un samedi soir, écrit Bernard Frangin,  rangea sa voiture sur le parking et en traversant la route, fut renversé par un chauffard qui tua ce jour-là une partie de l'âme du bistrot lyonnais. »

     

    FPAaf01.jpg

     

    devise de Jean de Tournes, le fondateur.

    (trad : "Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui")

  • Commandant Arnaud

    Autour de la figure de ce commandant, il y a eu à la Croix-Rousse une sorte de légende durant la première partie du vingtième siècle. Cela nous ramène à l'année 1870 et à la bataille de Nuits (voir ce billet) Le 19 décembre 1870, au lendemain de la défaite militaire, la rumeur s'était répandue que les légions de volontaires du Rhône avaient été décimées sous le regard de la troupe qui n'avait bougé pour les défendre. Devant une foule en ébullition où les femmes, mères, veuves et sœurs des morts à Nuits ne sont pas les moins excitées, on crie à la trahison et des meneurs affiliés à l'Internationale tentent de récupérer la colère pour créer un mouvement insurrectionnel visant à chasser le préfet Challemel Lacour (voir ce billet), le conseil municipal, et installer la Commune à l'Hôtel-de-Ville. C'est dans la salle Valentino, au n° 8 de la place de la Croix-Rousse que, dans une atmosphère d'orage, s'enchainaient les discours.

    On somma le commandant du 12ème bataillon de la Garde nationale, un chef d'atelier du nom d'Antoine Arnaud, connu par la police impériale pour son républicanisme, libre penseur et franc-maçon, de se placer à la tête des émeutiers et de les diriger vers l'Hôtel-de-Ville. Arnaud refusa, tenta de s'enfuir par la rue du Mail où il fut saisi par les émeutiers, traîné dans la salle Valentino et condamné à mort par une assemblée surchauffée après un simulacre de jugement. On le conduisit au Clos-Jouve, escorté de femmes qui portaient des drapeaux rouges et noirs et on le fusilla. Jetant son képi en l'air, il commanda lui-même le feu, rapportèrent des témoins, en criant Vive la République.
    Grâce à sa Résistance, les bataillons du entre Ville purent réprimer les projets des émeutiers. Le Conseil Municipal de Lyon, "considérant que le commandant Arnaud, du 12ème bataillon, avait été lâchement assassiné en cherchant à maintenir l'ordre public menacé" décida d'adopter ses trois enfants au nom de la ville, et d'attribuer une pension viagère à sa veuve.

    «Les funérailles seraient faites au frais de la commune et un emplacement de terrain cédé gratuitement et à perpétuité. Le 22 décembre, raconte Kleinclausz dans son Histoire de Lyon, le cercueil du commandant Arnaud, recouvert des insignes compagnonniques et maçonniques, fut conduit au cimetière de la Croix-Rousse par une foule énorme en tête de laquelle marchaient le maire Hénon, le préfet Challemel Lacour et Gambetta, de passage Lyon. Le Conseil de guerre prononça quatre condamnations à mort parmi les tribuns de la salle Valentino : seul le dénommé Deloche fut passé par les armes, les autres étant en fuite. On admit qu'Arnaud avait été victime d'une vengeance des internationalistes. D'autres contemporains évoquèrent une confusion possible avec un homonyme. »

    La place fut réaménagée sous la forme qu'on lui connait, avec la longue école primaire, au début du vingtième siècle. Lorsque le tramway électrique relia Perrache à la Croix-Rousse par les pentes abruptes du cours des Chartreux, on créa une ligne 13 qui, reliant Perrache à la place du commandant Arnaud, devint vite célèbre pour ses torpilleurs, surnom donné à ses motrices. Sur la photo, une voiture de la ligne 13 Perrache-Commandant Arnaud.

    1574670479.jpg
  • 24 mars 1852

    C’est le 24 mars 1852, que les communes de la Croix-Rousse, la Guillotière et Vaise furent rattachées à Lyon. L’affaire fut nommée rondement peu de temps après le Coup d’Etat de Napoléon III

    Cette question du rattachement était alors une vieille lune puisqu’on en avait déjà débattu en 1806 et après la révolte de 1831. Quelques deux mois après la Constitution du 14 janvier 1852 qui fondait en France un régime autoritaire et fortement centralisé, les préfets reçurent des attributions élargies pour imposer partout la volonté du pouvoir exécutif. Dans le Rhône, le baron de Vincent déploya un zèle intarissable dans ce sens : Il reprit rapidement le rapport de l’ancien préfet Darcy concernant « la réunion administrative des trois communes » car il y voyait un moyen d'étendre ses pouvoirs de police afin d'éviter de nouvelles émeutes.

     Le courrier de Lyon, soutint le préfet, contre l'hostilité des communes concernées, y compris celle de Lyon, comme en témoignent les rapports des conseils municipaux et le projet paraît abandonné une nouvelle fois. .

    Le 24 mars 1852, un décret de Louis-Napoléon réunit d’autorité à Lyon les communes de la Guillotière, de la Croix-Rousse et de Vaise et créa cinq arrondissements. L’administration de ce nouveau Lyon fut  confiée  au préfet avec des pouvoirs de police encore étendus, et les maires d'arrondissement et adjoints ne récoltèrent que des fonctions subalternes. Le 6 avril 1852, une commission dite provisoire (18 ans d'existence !) sous le contrôle du préfet faisant office de municipalité fut créée, et le 8 avril 1852 furent nommés les maires et adjoints des 5 arrondissements. La mise en vigueur et la passation de pouvoir fut réalisée le 14 avril 1852 à 16h.

     

    Les communes de Villeurbanne, Vaux, Bron et Vénissieux (auparavant situés en Isère) furent ce même mois incorporées au Rhône, tandis que la commune de Saint-Rambert l’Ile Barbe, rattachée à l’agglomération lyonnaise, était soumise au régime de la police d’Etat.. Dans le prolongement de la rue de Saint-Cyr, une rue du neuvième arrondissement commémore donc cet acte de rattachement à l’époque quelque peu autoritaire…

    dardel 1853.jpg
    Plan Dardel (1853) avec les rattachements des 3 communes