La rue Edouard Herriot est l’une des principales artères de la presqu’ile, qui permet de relier les deux plus grandes places de Lyon, les Terreaux à Bellecour. Comme la rue de la République qui lui est parallèle, elle s’étend sur le 1er et le 2ème arrondissement. Comme cette dernière également, son ouverture fut décidée sous le Second Empire et conduite par le préfet-maire Vaisse. Jusqu’en 1871, elle se nomma rue de l’Impératrice.
Pour sa percée qui fut saluée comme un triomphe de l’hygiénisme sur l’insalubrité, on emprunta le tracé d’anciennes rues comme la rue Clermont (des Terreaux à la rue Bât-d’Argent), qui avait été créée en 1582 par l’abbesse de Saint-Pierre, la rue Sirène qui la prolongeait et qui porta auparavant le nom de rue des Fripiers, et plus tôt encore le joli nom de Malconseil. Rares sont les maisons antérieures hélas à sa récente construction, sinon entre les actuelles rue Mulet et rue Neuve.
Au moment de son ouverture, l’imprimeur Storck, maître-lyonnais connu pour avoir édité entre autres les ouvrages de Nizier du Puitspelu, y habita, de même que le docteur Gailleton qui fut maire de Lyon. A la chute de l’Empire, on la baptisa rue l’Hôtel de Ville, puis elle prit son nom actuel après la mort d’Edouard Herriot, qui occupa un demi-siècle ledit Hôtel de Ville (1905-1957)
Pour la petite histoire, celui que Béraud surnommait ironiquement « le Péricles du cours d’Herbouville » fut appelé à porter l’écharpe de maire à la suite de la démission d’Augagneur, nommé gouverneur de Madagascar, qui désigna un candidat qu’il jugeait non dangereux pour lui s’il désirait récupérer son siège. Par 28 voix contre 23, l’obscur conseiller municipal qui n’était pas même natif de Lyon entra donc dans l’histoire.
Edouard Herriot, par Blanc et Demilly
Le bilan d’Herriot demeure rudement contrasté. Adepte de modernisme, comme son successeur Pradel, c’est lui qui détruisit l’ancien Hôpital de la Charité pour le remplacer par les actuels Hôtel des Postes, Hôtel des Impôts et Sofitel, lui aussi qui ne s’opposa pas à la décision de l’Etat de remplacer un pont de pierres de dix arches datant du XVIème siècle par l’ouvrage moderne qui permet à présent de passer le Rhône pour se rendre en Guillotière, comme on disait autrefois, et qui ne brille pas par sa beauté.
Avec son compère Tony Garnier, ce fumeur de pipe invétéré « modernisa » donc si bien, dans le sillage de Napoléon III, la vieille cité des échevins, qu’il la fit pratiquement disparaître. On lui doit entre autre l’Hôpital situé à Montchat et qui porte son nom, le tunnel de la Croix-Rousse qui consacra malheureusement à l’automobile le quai Saint-Clair, la cité Gerland-La Mouche, le port Rambaud, le Palais de la Mutualité, la Bourse du Travail… Un projet de prolongement de la rue de la République à travers les pentes de la Croix-Rousse, un autre de rénovation de Saint-Jean, heureusement, avortèrent.
Vue sur l'Hôpital de la Charité, rasé par Herriot
Edouard-Marie Herriot se piqua aussi d’être homme de lettres. Outre sa thèse sur madame de Récamier à présent carrément illisible (1905), on lui doit Lyon n’est plus, qui narre le soulèvement des extrémistes derrière Chalier et 1793 et la réponse sanglante de Robespierre, ainsi qu'un triptyque assez austère dans lequel il expose ses vues radicales, Agir, qu’il dédia à Colbert en 1917, et les deux volumes de Créer (1920). Henri Béraud écrivait dans le n° 6 de sa revue l’Ours, à propos de cette carrière littéraire : « La clientèle de M. Herrriot ne se montre point au cœur de la cité ; elle se tient dans les bureaux. On le lit officiellement, d’une manière administrative et presque municipale». Sa création la plus populaire en ce domaine est probablement d’avoir inventé une expression devenue courante, le français moyen.
Son ami Pétrus Sambardier l’appelait « le Robuste » en soulignant malignement sa réputation de gros mangeur, notamment chez la mère Brasier de la rue Royale. Dans un article de décembre 21, il cite cette phrase de ses familiers, paraphrasant la séparation de l'Eglise et de l'Etat : « chez lui, il y a séparation de l’estomac et du cerveau ».
Sur le plan politique, ce personnage qui fut trois fois Président du Conseil (1924, 1926 et 32) est évidemment inséparable du radicalisme, le parti qui est alors, comme le dit Thibaudet, « le parti du français moyen ». En 1932, dans Les idées politiques de la France, Albert Thibaudet présentait Herriot comme un « girondin » qui eût été en 1793 « guillotiné à Paris, ou mangé par les loups à Saint-Emilion, ou mitraillé dans la plaine des Brotteaux, puis en 1847 canonisé magnifiquement par Lamartine ». On pourrait longtemps gloser sur ce personnage aujourd’hui oublié par la jeunesse, mais dont l’existence a croisé l’histoire de Lyon de manière significative. Suffit, pour s’en convaincre, de suivre les nombreux liens avec d’autres Lyonnais que ce billet m’a contraint d’effectuer. Herriot repose aujourd’hui à Loyasse, sous une stèle de marbre horriblement stalinienne, à l’entrée droite du cimetière.
Ancien cimetière de Loyasse, tombe d'Herriot à droite de l'entrée principale