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Chansonniers & comédiens

  • Pierre Dupont

     « Quand j’entendis cet admirable cri de douleur et de  mélancolie (Le chant des ouvriers, 1846), je fus ébloui et attendri. Il y avait tant d’années que nous attendions un peu de poésie forte et vraie (…) Il est impossible, à quelque parti qu’on appartienne, de quelques préjugés qu’on ait été nourri, de ne pas être touché du spectacle de cette multitude maladive respirant la poussière des ateliers, avalant du coton, s’imprégnant de céruse, de mercure et de tous les poisons nécessaires à la création des chefs-d’œuvre, dormant dans la vermine, au fond des quartiers  où les vertus les plus humbles et les plus grandes nichent à côté des vices les plus endurcis …» C’est Baudelaire qui écrivit ceci, dans l’un des deux articles qu’il consacre au lyonnais Pierre Dupont sans sa Critique Littéraire. 

     

    La rue Pierre Dupont, dans le 1er arrondissement de Lyon,  est parallèle au boulevard de la Croix-Rousse, du cours du général Giraud à la rue des Chartreux. Avant d’être dédiée au poète chansonnier du dix-neuvième siècle, l’un de ses tronçons portait le nom du Cardinal Fesch, oncle de Napoléon Ier qui fut archevêque de Lyon, l’autre le nom de « clos des Chartreux », en raison du domaine qui jouxtait la rue.

    Pierre Dupont vécut cinquante ans, de 1821 à 1871. Il avait perdu sa mère à quatre ans. Son père, forgeron, fut tué pendant l’insurrection lyonnaise de 1831. Son parrain,  qui était prêtre, prêtre fit parachever son éducation au séminaire de Largentière. Au sortir de la maison religieuse, Dupont entra dans la canuserie, où il fut apprenti. Puis il devint employé de banque et, grâce au soutien d’un académicien, obtint un poste à la rédaction du Dictionnaire. Il commença à écrire très jeune, une œuvre qui se décompose en trois : des chants rustiques, des chants ouvriers, et quelques poèmes philosophiques ; l’écriture de Dupont, pour paraphraser Baudelaire, est hantée par deux secrets, qui sont les clés de sa fortune d'alors, et celles aussi de l'oubli dans lequel il est tombé à présent : « la joie et le goût infini de la République ».

    On raconte qu’encore jeune, Pierre Dupont se rendit place Royale pour rencontrer Victor Hugo. Comme ce dernier était absent, il lui laissa sa carte sur laquelle il crayonna les vers suivants :

    « Si tu voyais une anémone

    Languissante et près de périr,

    Te demander, comme une aumône,

    Une goutte d’eau pour fleurir ;

     

    Si tu voyais une hirondelle

    Un jour d’hiver te supplier,

    A ta vitre battre de l’aile,

    Demander place à ton foyer,

     

    L’hirondelle aurait sa retraite,

     L’anémone sa goutte d’eau !

     Pour toi, que ne suis-je, ô Poète,

    Ou l’humble fleur ou l’humble oiseau. « 

    Gounod lui trouvait une voix remarquable et s’étonna qu’il ne connût rien à la musique. A quoi Dupont répondit qu’il était heureux de n’y rien connaître, et qu’il ne tenait pas à l’apprendre. Une date, dans sa vie, a été un moment charnière : celle de février 1848, dont son Chant des Ouvriers devint l’hymne. Il mourut l’année même de la consécration définitive de cette dernière, après avoir, de 1848 à 1870 traversé le règne de Napoléon III en ardent républicain. A cause de ses aspirations socialistes, il avait été condamné pour sept années à la déportation après le coup d’Etat de 1851 et avait dû sa grâce à quelques puissants admirateurs, ainsi qu’à l’allégeance qu’on le força de prononcer envers le nouveau régime. Pour toute sa génération, Pierre Dupont, fut, digne successeur de Bérenger, le talentueux chansonnier du petit peuple, le chantre militant de la République. Jusqu’à la guerre de 14, et au gigantesque fossé d’oubli qu’elle creusa entre un avant et un après, une romance à la Dupont, c’est ce qui accompagnait les hommes, des fêtes données pour leur baptême, à celles données lors de leur enterrement, en passant par les banquets de mariage.  Dupont laissa  la réputation d’un solide bon vivant, qui  buvait comme un héros antique. « Les vieux de Vaise, relate Louis Maynard dans son Dictionnaire des Lyonnaiseries, ont longtemps conservé le souvenir de beuveries qui duraient plusieurs jours et plusieurs nuits. » Béraud, dans sa Gerbe d’Or, rappelle avec verve la façon dont son père boulanger, républicain passionné, ténorisait du Dupont au pétrin, dans une page de son récit d'enfance que traverse, de part en part, la gaieté.

     

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    On a, depuis, oublié Pierre Dupont et sa philosophie simple. En voici quelques couplets :

    Rêve, paysan, rêve :

    Entends la semence qui lève,

    Regarde tes bourgeons rougir,

    Et comme tes enfants grandir :

    C’est l’avenir !

    (Le Rêve du paysan)

     

    Aimons-nous, et quand nous pouvons

    Nous unir pour boire à la ronde,

    Que le canon se taise ou gronde,

    Buvons, buvons, buvons,

    A l’indépendance du monde !

    (Le chant des ouvriers)

     

    Alerte, imprimeurs !

    Inondez  de lueurs

    Le monde qui tâtonne ;

    Faut-il que le flambeau

    Reste sous le boisseau ?

    Non, il faut qu’il rayonne !

    ( L’imprimerie)

     

    Gouttes d’eau, filles du nuage,

    Filtrez à travers le feuillage

    Sur l’étang attiédi,

    Car ma mie au gentil corsage,

    Aux pieds blancs, au rose visage,

    Y vient sur le midi.

    ( Midi )

     

    Des deux pieds battant mon métier,
    Je tisse, et ma navette passe,
    Elle siffle, passe et repasse,
    Et je crois entendre crier
    Une hirondelle dans l’espace.

    ( Le Tisserand)

     

    Aux armes, courons aux frontières,

    Qu'on mette au bout de nos fusils

    Les oppresseurs de tous pays

    Les poitrines des Radetskis !

    Les peuples sont pour nous des frères,

    Et les tyrans, des ennemis.

    ( Le chant des Soldats)

    

    Le 20 octobre 2010 à 20h 30, au cinéma Saint-Denis (grande rue de la Croix-Rousse), Jean Butin et Gérard Truchet donneront une conférence en chansons sur la vie trop oublié de ce chansonnier.

     

  • Molière

    La présence de Molière à Lyon est attestée par de nombreux documents, de 1652 à 1655. En décembre 1653, il donna Irène, de l’avocat lyonnais Claude Basset au profit des pauvres. On conserve aux archives des Hospices un spécimen des billets d’entrée de la première représentation de l’Etourdi que Molière et sa troupe créèrent au bénéfice de l’Hôtel-Dieu. L’apothicaire Fleurant, qui exerçait rue Saint-Dominique (voir Emile Zola) inspira par ailleurs le créateur du Malade Imaginaire, qui lui assura en épelant son nom qu’on parlerait encore longtemps de lui.  Un ancien pâtissier,  Cyprien Ragueneau, dit de l’Etang, comédien de sa troupe, mourut à Lyon le 18 août 1654. Un acte notarié précise que Ragueneau avait loué une chambre et galerie dans la maison appartenant au sieur Veau « sise en Bellecour, rue sainte Hélène »

    moliere2.jpgLe tome XX de Le Revue du Lyonnais reproduit une analyse de trois registres de Molière, qui décrivent « les détails sur l’administration théâtrale et la mise en scène à l’époque », « les règlements et les recettes d’alors ». La troupe de Molière ne jouait que trois fois par semaine, les mardi, vendredi et dimanche. Dans le premier registre de la Comédie Française qui renferme le détail de 99 représentations (16 avril 1663 - 6 janvier 1664), on voit 8 fois Molière composer le spectacle entier avec une de ses pièces, avec deux 55 fois. 30 fois ses œuvres, peu nombreuses encore, fournissent une des deux pièces représentées. 6 fois seulement, la scène est laissée à d’autres auteurs. C’est donc pour Molière un total de 63 soirées complètes, et de 30 soirées en partage. Tandis que tous les autres auteurs comptent un total de 6 représentations pleines et 30 demi-représentations. Ces auteurs sont Corneille (Cinna, Sertorius et le Menteur – 17 fois) ; Tristan (Marianne, 9 fois), Rotrou (Venceslas, 5 fois) et Scarron (Don Japhet, L’héritier ridicule, 5 fois).

    Dans le deuxième registre, contenant le détail de 87 représentations du 12 janvier 1664 au 4 janvier 1665, Molière remplit seul 62 soirées sur 87 (8 avec une seule de ses pièces, 54 avec deux). Il partagea 15 fois les honneurs de la représentation avec un autre et laissa sa place seulement 10 fois. Sur ces 25 représentations, Racine en compta 14 pour sa Thébaïde, Corneille et Scarron 3 chacun. L’auteur anonyme de la Bradamante ridicule eut les 5 autres soirées. Du 29 avril 1672 au 26 février 1673, (troisième registre consulté, beaucoup plus tardif), Molière ne fournit rien 4 fois seulement. Et sur les 118 représentations, il occupe la scène à lui tout seul 112 fois. Par rapport aux frais quotidiens, on constate que les recettes étaient plus conséquentes qu’aujourd’hui : Voici le détail des recettes des 32 représentations de L’Ecole des Femmes et de la Critique de l’été 1663, en livres et en sols

     

     

    Vendredi 1er juin

    1357

    Dimanche 8 juillet

    702

    Dimanche 3 juin

    1131

    Mardi 10

    532

    Mardi  5

    1352,10

    Vendredi  13

    570,10

    Vendredi   8

    1426,10

    Dimanche  15

    711

    Dimanche 10

    1600

    Mardi  17

    482

    Mardi   12

    1356,10

    Vendredi  20

    567

    Vendredi  15

    1731

    Dimanche 22

    780

    Dimanche 17

    1265

    Mardi  24

    422

    Mardi 19

    842,10

    Vendredi  27

    790

    Vendredi  22

    1025,10

    Dimanche  29

    723

    Dimanche 24

    937

    Mardi   31

    737

    Mardi 26

    800

    Vendredi  3  août

    631,03

    Vendredi  29

    1300

    Dimanche  5

    462

    Dimanche  1er juillet

    1309

    Mardi    7

    400

    Mardi 3

    930

    Vendredi  10

    682

    Vendredi 6

    830

    Dimanche 12

     392

     

    Les frais ordinaires pour une représentation s’élèvent à 55 livres. Les frais extraordinaires varient davantage, de 4 à 379 livres (pour la première du Malade Imaginaire, et ce en raison du grand nombre de figurants). Se rajoutent à cela certains frais supplémentaires : « Les soldats » (gardes de service) reviennent à 9 livres chaque soir. Certains acteurs, non sociétaires, sont mentionnés dans cette rubrique, comme mademoiselle Marotte Beaupré  (3 livres chaque soir). L’éclairage à la chandelle revient à 6 livres : il fallait payer aussi les allées et venues des moucheurs  La « tare de l’or léger », estimée à peu près 13 livres, est un déchet qui se reproduisait à chaque représentation sur le montant des recettes : la monnaie d’or étant celle utilisée à l’époque, la rognure des pièces donnaient lieu à des dépréciations assez marquées, dont les théâtres étaient les principales victimes. Sur certains registres se trouve faite mention de charité (souvent adressée aux Cordeliers) et parfois même de messe. Les frais d’imprimeurs, sans doute compris dans les frais ordinaires, apparaissent parfois lorsqu’il y a un événement exceptionnel dans les frais supplémentaires : c’est alors deux affiches qui sont mentionnées en plus, pour un frais de 8 livres  (tout laisse à penser qu’on n’affichait habituellement qu’à la porte du théâtre). Les costumes des acteurs étaient renouvelés au fur et à mesure qu’ils s’usaient (ces derniers n’étaient pas liés à leur personnage, les costumes de théâtre, au sens moderne, n’existant pas encore).

    Les frais d’un costume entier varient de 10 à 40 livres; d’autres frais occasionnels, mentionnant des « maîtres de chant » ou des « maîtres à danser », occupés généralement pendant deux mois entiers, s’étendent entre 22 et 46 livres : Les parts de chacun se touchaient chaque soir. Une part s’élève environ à 3,5 livres. Deux en revenaient à l’auteur de la pièce. Molière, comme directeur et sociétaire, en touchait encore trois autres. Le prix des places allait de la somme de 15 sous (parterre) à celle de 5 livres (billet de loge). Les registres portent également trace des dons et des remboursements des frais de visites ou de séjours (sorte de répétitions générales accordées, en privé, à des Grands). Ces dons sont importants et s’élèvent souvent à plusieurs centaines, voire milliers de livres. Le 26 octobre 1663, on trouve : « Nous avons séjourné à Versailles depuis le 16 octobre jusqu’au 26 dudit mois, où nous avons reçu du Roi 3300 livres à partager, chacun 231 livres.» Le 26 février 1673, pour clore le dernier registre, on peut lire : « On n’a point joué dimanche 19 et mardi 21 à cause de la mort de M. de Molière, , le 17ème à dix heures du soir».

    La rue Molière relie la place Lyautey à la rue de Bonnel, face aux grilles de la préfecture. Avant de porter le nom de l’Illustre comédien, la rue s’appela longtemps rue Monsieur (du frère du Roi)

  • Mouloudji

    La rue Mouloudji  vient de voir  le jour en même temps que la rue Edith Piaf, dans le quartier de la Duchère à Lyon. Curieusement, dans la concertation sur les nouvelles dénominations des rues à la Duchère (mars 2006), on trouve cette phrase pour justifier le choix : « Son père est kabyle et sa père bretonne catholique fondamentaliste. » Espère-t-on faire un chanteur de la Rue de Lappe un modèle d’intégration réussie, à l’heure du tout métissage ?  

    Le père de Mouloudji, algérien né à Sidi Aïch (l'orthographe Kabyle de son nom est Marsel Muluği) fut jeune pâtre, puis agriculteur avant de venir en France où il s’inscrivit, au Parti communiste. Il épousa en effet une jeune Bretonne, catholique traditionnaliste qui lui donne deux fils : André et Marcel (septembre 1922). Mais cette dernière est bientôt internée pour désordre mental et le père analphabète ne sait comment élever ses deux fils dont le premier est très 18818190_jpg-r_760_x-f_jpg-q_x-20070907_074214.jpgmalade. La chance de Mouloudji se nommera Jean-Louis Barrault. C'est lui qui lui ouvre les portes du Paris artisitique des années quarante.  En 1938, il figure dans le film Les Disparus de Saint-Agil de Christian-Jaque. Dans les cabarets en vogue, il chante Boris Vian (Le Déserteur) ou Jacques Prévert, interprète son rôle dans le film Eaux troubles de Henri Calef en 1949 et participe à Boule de Suif (Christian-Jaque, 1947) et Nous sommes tous des assassins (André Cayatte, 1952- cf. photo ci contre et affiche ci-dssous). Il obtient un premier grand succès dans la chanson grâce à son interprétation de La Complainte des infidèles, extraite du film La Maison Bonnadieu de Carlo Rim (1951). En 1958, il fait sa dernière apparition au cinéma dans Rafles sur la ville de Pierre Chenal et dans un film hispano-suédois, Deux hommes sont arrivés (Llegaron dos hombres).

    Avec Jacques Canetti aux « Trois Baudets » Mouloudji  se dirige vers le succès. Comme un p'tit coquelicot obtient le Grand Prix du disque 1953 et le Prix Charles-Cros en 1952 et 1953. Même succès, en 1954, avec Un jour tu verras, chanson extraite du film à sketches Secrets d'alcôve).

    En 1970, il est sur la scène du Théâtre de la Porte Saint-Martin dans la comédie musicale La Neige en été, aux côtés de Nicole Croisille et Régine. En 1976, il enregistre avec l'accordéoniste Marcel Azzola une anthologie du musette, Et ça tournait. En 1980 il sort un album Inconnus Inconnues et donne d'innombrables concerts dans tout le pays, dont les médias s'en font rarement l'écho. Fatigué, il consacre plus de temps à l'écriture et à la peinture, ses anciennes amours. On le retrouve sur scène en 1987 à l'Élysée Montmartre.

    Il publie ses souvenirs de jeunesse : Le Petit Invité chez Balland en 1989, La Fleur de l'âge chez Grasset en 1991, puis Le Coquelicot aux éditions de l'Archipel, en 1997.

    En 1992, une pleurésie lui enlève en partie sa voix. Cela ne l'empêche pas d'enregistrer un album qui ne verra cependant pas le jour. On l'entend, le 17 novembre 1993, chanter dans la carrière de la Sablière à Chateaubriant (Loire-Atlantique), où avaient été fusillés 27 communistes, dont le jeune Guy Môquet, le 22 octobre 1941.

    En mars 1994, il est invité au festival Chorus des Hauts-de-Seine en région parisienne. Puis, il donne un ultime récital près de Nancy en avril.

    Il s'éteint le 14 juin 1994. Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise à Paris.

     

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  • Edith Piaf

    Une rue Edith Piaf à la Duchère ?

    On cherche en vain dans la biographie de la fameuse chanteuse un quelconque rapport entre elle et le neuvième arrondissement de Lyon. Mais c’est ainsi.

    Dans sa séance du 18 septembre 2006, deux années avant le triomphe de Marion Cotillard aux Oscars, le délibéré signé par Alain Touraine justifie la décision de cette création (en même temps que celle d’une allée) ainsi : "Edith Piaf (1915-1963) fut une chanteuse très populaire et reste aujourd’hui la chanteuse française la plus connue internationalement." En même temps que cette rue Edith Piaf sont créées la rue Victor MUHLSTEIN (1922-2003), un militant associatif du quartier, la rue MOULOUDJI (1922-1994) et la rue Arthur RIMBAUD.

    Non loin de là se trouvait déjà une rue Marcel Cerdan, là où la barre des 200 récemment dynamitée. La rue Edith Piaf relie désormais la plus ancienne rue Marcel Cerdan à la rue Mouloudji. Histoire de placer le nouveau quartier sous le signe de la chansonnette ? Ou le signe de l'amour é-ter-nel ?

    La rue Edith Piaf demeure en cours de construction. Ci-dessous, une photo prise il y a deux ans, de son emplacement (on voit au fond la tour panoramique). Fin des travaux prévus pour l'automne.

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  • Charles Dullin

    L'imagination de l'enfant Dullin, dans la montagne savoyarde de la fin du siècle dernier, s'échauffait à voir paraître les colporteurs chargés de leur boîte et son lot de menues marchandises. La boîte à merveilles s'est métamorphosée en théâtre pour l'élève comédien du Conservatoire de Lyon, pensionnaire, en 1905, des salles de quartier parisiennes où l'on jouait le mélodrame, et le compagnon de Jacques Copeau dans la grande réforme théâtrale que celui-ci entreprit en fondant en 1913 le Vieux-Colombier.

    En 1921, devenu chef de troupe, Dullin fait du vieux Théâtre Montmartre sa propre boîte à merveilles, à l'enseigne de L'Atelier, où il crée en 1927 Chacun sa vérité de Pirandello. La même année, le 6 juillet exactement, Dullin fonde avec Gaston Baty, Louis Jouvet et Georges Pitoëff, le Cartel, une association par laquelle les quatre metteurs en scène se jurent une solidarité économique et un soutien artistique sans failles.

    Ainsi se déroule l'aventure originale de Charles Dullin, une des plus belles et des plus fécondes de la première parte du vingtième siècle, une des plus émouvantes aussi, car elle est soumise aux épreuves qu’entraine le risque de la recherche. Dullin ne cède pas et poursuit son combat avec ce tempérament généreux, cet appétit de la vie, la passion de son art et le charme qui émane de sa personne.

    Il prend des initiatives qui seront à la base de la politique de décentralisation et de théâtre populaire. « jardinier d'hommes » a dit de lui Jean-Louis Barrault, son élève, comme l'ont été Jean Vilar, Jean-Marie Serreau, Jean Marais, Madeleine Robinson, Marcel Marceau, Jacques Dufilho, Alain Cuny... parmi tant d'autres.

     

    Avec eux tous, avec ceux des nouvelles générations qui ont recueilli sa leçon, Charles Dullin, disparu en 1949, n'a cessé depuis d'animer la vie théâtrale française à travers ceux qui se sont revendiqués de son œuvre.

    Henri Béraud a souvent raconté les anecdotes de la vie de bohème et de vache enragée qu’il partagea, à Lyon puis à Paris, avec Charles Dullin et Albert Londres : « On le retrouva longtemps au Lapin-Agile, où il disait des vers pour un écu et une écuelle. Un soir, Robert d’Humières, directeur du théâtre des Arts, est assis devant un bock. Sur le tréteau, Dullin récite une balade de Villon. Ce masque douloureux, cette voix poignante, cet art sûr, voilé, attentif et discret, fascinent l’homme qui s élève, tend la main à l’acteur… C’est est fait. La roue a fait son tour : Dullin est sauvé et, avec lui, l’une des forces véritables de notre génération ».

    La rue Charles Dullin donne sur la place du théâtre des Célestins, dans le deuxième arrondissement de Lyon. Dullin a passé son adolescence dans cette ville et est souvent revenu jouer aux Celestins. Son souvenir est encore vivace entre Rhône et Saône. Ci-dessous, l’un des rôles phares de l’immense comédien : Harpagon, de Molière.

     

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  • Xavier Privas

    Xavier Privas (de son vrai nom Antoine Taravel),  est né à Lyon, le 27 septembre 1863. Son acte de naissance indique qu’il a vu le jour rue de l’Impératrice (aujourd’hui de l’Hôtel de ville), au 27, à l’angle de la rue Ferrandière.  Il est mort à Paris le 6 février 1927, en un petit appartement de la rue La Fontaine. Il perdit sa mère peu après sa naissance. Son père, régisseur d’immeubles, le plaça en pension à la Mulatière, à l’Institution Notre-Dame-des- Anges, que dirigeait le père Lafay. « Je dois à ces braves gens, écrivit Privas, tout ce qu’au milieu des luttes féroces et des désillusions fréquentes j’ai conservé de bon en moi : l’amour de mes semblables, le mépris de la haine, et la foi dans le pardon ».  Au lycée de Lyon (Ampère) où il poursuivit ses études, il se fit remarquer par plusieurs fugues et dut terminer son second cycle au lycée de Bourg. C’est durant ces années qu’il commença à gribouiller des vers et des articles pour les Annales Lyonnaises et la Vie lyonnaise, deux revues mondaines et littéraires.  C’est alors qu’il  choisit son pseudonyme : « C’était le jour de la Saint Xavier (3 décembre), dira-t-il, et le journal venait de recevoir une lettre de Privas. »

     

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    Le 11 mai 1888, Camille Roy fondait à la suite d’un banquet offert à Gustave Nadaud le Caveau Lyonnais dont le siège demeura longtemps à la Brasserie Corrompt. Privas, alors âgé de vingt-cinq ans, y accourt et commence à y chanter ses chansons.  A l’époque, on dit de lui «il fait l’effet d’un vigoureux carme ayant laissé la froc pour se faire officier de cavalerie, puis quitté l’habit militaire pour l’habit noir, cet uniforme civil. Il a la gravité indulgemment souriante et l’air bon vivant du premier, et la prompte riposte du second à l’occasion. Il n’a qu’une passion : l’amour des la chanson et de la femme ; qu’une haine, celle de la médiocrité et de la bêtise ». Grâce à Gustave Nadaud qui vient régulièrement à Lyon et au caveau, Privat est repéré et, au début de décembre 1892, avec trois cents francs en poches, il monte à Paris. Epaulé par ses amis, il passe au Caveau du Soleil d’Or, place Saint-Michel, au dîner de la revue d’avant-garde La Plume et rencontre Verlaine, Coppée, Moréas et Tailhade.  Grâce à la bienveillance de Verlaine, pour qui Privas aura une reconnaissance sans borne, il prend confiance en son destin. Le voici au Chat Noir de Salis, aux Quat’Arts, aux Noctambules

    Lorsque mourut le pauvre Lélian, le prince des Poètes, les prosateurs jugèrent bonne l’idée d’avoir aussi leur prince (ce fut Anatole France) et les chansonniers furent du même avis : ce fut Xavier Privat qui emporta la couronne. Parmi l’œuvre de Privat bon nombre de chansons lyonnaises  (La chanson de Lyon, album paru en 1928, en regroupe plusieurs, dont la célèbre A la plate). Bon nombre aussi de textes, à présent injustement oubliés, tel celui-ci :

     

    Aux rimeurs errants,
    Je lègue et confie
    Mon arme : ironie
    Pour cingler les grands

    Au frère qui traîne
    Et misère et peine
    Par villes, par champs,
    Je lègue mes chants
    Dont les airs touchants
    Calment, des
    méchants,

    La haine...

     

    Une simple rue du huitième arrondissement rappelle à Lyon l’existence de ce chansonnier dont la vie, haute en couleur, est le symbole riant et partageux de toute une époque. C'est bien peu, quand on y songe.

    Le chansonnier lyonnais est inhumé dans le ciemtière de Saint-Ouen,  dans  le même tombeau que sa compagne et sa muse, Francine LOREE (1876-1963), dans la 8ème divisions. Ils reposent dans un caveau dit « des chansonniers » avec plusieurs autres dont le nom (et la mémoire) sont presque totalement effacés : Léon de BERCY (Léon Drouin : 1857-1915), hydropathe qui se produisait au Chat noir, spécialiste de l’argot montmartrois, Georges JOUSSAIN (1900-1931), Jean MAADER (1853-1930), Henri COLHUMEAU (1866-1924), Antoine LAUFF (1884-1923), Yon LUG (1864-1921) et le belge Henri ENTHOVEN (1886-1920), qui avait fondé le cabaret du Diable au corps, puis celui du Moulin de la chanson.

     

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    Il semble que depuis 1963 (mort de Francine Lorée-Privas), plus grand monde ne s'occupe, hélas, de cette tombe.