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Chalier

La rue Chalier a été ouverte vers 1960 dans le cadre de l'aménagement de la cité Mermoz. Elle est dédiée à un personnage très controversé à Lyon, à cause du fameux décret « Lyon n’est plus », qui découla de sa mort.  Lorsque je pense à lui, je revois souvent l’inscription sur la  tombe de cette baronne, presque à l’entrée du cimetière de Loyasse, qui toujours m'en imposa : «La Terreur la laissa veuve et mère de onze orphelins »

Lamartine, puis Michelet, ont contribué à façonner la silhouette, inoubliable mais incertaine, du « fanatique de l’impossible » ou du « Centaure », mi homme mi bête, de la « Chimère, monstre à la fois cruel et sensible, tendre et furieux ». Joseph Chalier naquit en 1747, dans le Piémont. Il était le fils du notaire du village de Beaulard ; son  grand-père avait été notaire du roi à Briançon. Il avait fait ses études chez les Dominicains de Lyon. Avant de devenir précepteur puis représentant en soierie, ce qui lui permit de voyager en Italie :  « Partout j’avais vu, observé et réfléchi sur le despotisme et les abus en tout genre. Au levant, en Italie, à Naples, à Rome, à Florence, à Gênes, à Madrid, partout je voyais le peuple opprimé, et lorsque je me rappelais par la lecture des livres les beaux jours d’Athènes et de Rome, la comparaison était effroyable. 

Chalier accueillit dès le début la Révolution avec enthousiasme. Et monta à Paris où il lia avec Marat, Fauchet, Robespierre. Il devint très vite un tribun fort efficace, tant sur les places publiques que dans les clubs.  Lorsque il revint à Lyon, il s’inscrivit au Club Central des Jacobins et fit partie de la municipalité. Il s’y révéla très bon administrateur et fut élu en 1792 président du tribunal de commerce de la ville. Il se fit remarquer par des vues audacieuses sur l’impôt, ayant  souhaité que celui-ci reposât essentiellement sur les couches les plus riches, ce qui provoqua contre lui l’ire de la bourgeoisie commerçante.

Chalier fit campagne pour la mort du roi ; il fit exposer une guillotine sur la place Bellecour, puis aux Terreaux,  tandis qu’il faisait circuler une pétition contre l’appel au peuple et réclamait la mort immédiate sans jugement. Des tables, dressées dans les rues et aux carrefours, recueillaient les signatures et lui-même exhortait ses concitoyens au pied de la machine. Il ne dissociait pas cette cause de la question sociale : « Depuis trois mois, la Convention aurait dû débarrasser la terre d’un tel fardeau. Louis, étant encore en vie, est toujours à la tête de nos ennemis : pourquoi recourir à des juges ? Le tribunal qui doit le juger, c’est la foudre du peuple. Brutus ne s’arrêta point à faire le procès à César ; il le frappa de vingt coups de poignard. Avec le perfide et dernier Louis, s’évanouiraient toutes les conspirations contre la souveraineté nationale. Le peuple aura du pain, n’en doutons pas : le premier article de la loi que nos législateurs doivent faire sur les subsistances, c’est de prononcer la mort du tyran. »

La pétition recueillit 40 215 signatures et fut envoyée à l’Assemblée.

 

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 Après la mort du roi, Chalier continua de plus belle ses exhortations à la violence. Il réclama à la municipalité des piques pour former un faisceau autour de l’arbre de la liberté, et l’institution d’un culte pour « rendre grâce aux dieux de la mort du tyran Capet ». Il organisa une cérémonie en l’honneur de Lepeletier de Saint-Fargeau. C’est sans doute à cette époque, si du moins il ne s’agit pas d’une légende, qu’il brisa publiquement un crucifix en s’écriant : « Le tyran des corps est brisé, il faut briser le tyran des âmes ! »

Le 28 janvier 93, il convoqua la population place des Terreaux pour lui faire jurer « d’exterminer tout ce qui existait encore sous le nom d’aristocrates, de feuillantins, de modérés, d’égoïstes, d’agioteurs, d’accapareurs, d’usuriers, ainsi que la caste sacerdotale fanatique. » En février, il dirigea des perquisitions ordonnées par la municipalité, et le 5 février, trois cents personnes furent arrêtées, à l’insu du maire. Le lendemain, le Club Central vota, en toute illégalité, l’institution d’un « tribunal révolutionnaire », le premier de France, un mois avant celui de Paris...

La situation sociale s’aggravait de mois en mois à Lyon, du fait de l’effondrement de l’industrie de  la soie, effondrement inévitable en temps de guerre et de fuite des capitaux. Pour se débarrasser de Chalier qui avait acquis une trop grande audience dans les milieux populaires et devenait dangereux en contexte de crise économique, le maire Nivière-Chol fit courir le bruit qu’il préparait avec le Club Central un massacre, qu’une guillotine allait être montée sur le pont Morand... Il espérait ainsi affoler l’opinion et reprendre la maîtrise de la ville avec une politique répressive qui serait justifiée par ce prétendu complot. Mais il ne put fournir de preuves, et le 9 février, il dut démissionner ; Chalier prit provisoirement sa place à la mairie, de façon illégale : il s’occupa aussitôt de réorganiser l’approvisionnement de la ville en faveur des plus pauvres, d’ordonner des visites domiciliaires et de mettre en place son tribunal révolutionnaire, qui ne prononça d’ailleurs aucune condamnation. La réaction bourgeoise fut rapide, et Chalier fut chassé de la mairie, tandis que les sociétés populaires étaient fermées et les locaux des clubs dévastés par des émeutiers. Dès le 18 février, Nivière-Chol fut triomphalement réélu. Chalier en appela à la Convention : « Une conspiration épouvantable a éclaté hier soir en cette ville, au sujet de la réélection de Nivière-Chol à la place de maire. L’aristocratie, pour le soutenir, a levé audacieusement la tête... »

Suivait le récit des émeutes contre les clubs et spécialement le Club Central, dont les meubles et les archives avaient été brûlés sur la place des Brotteaux par une foule « de tous les gens comme il faut, dames à pelisses et à grands manteaux, muscadins, contre-révolutionnaires, émigrés... » La Convention, suite à d’autres plaintes, dépêcha trois représentants en mission pour apaiser les « troubles de Lyon » : Basire, Rovère et Legendre, montagnards, soutinrent Chalier et lui permirent de reprendre le pouvoir en favorisant l’élection d’un nouveau maire, Bertrand, favorable à ses idées. La nouvelle municipalité jacobine  organisa dès lors un gouvernement révolutionnaire local, plusieurs mois avant celui de Paris. Un impôt sur les riches fut voté, les assignats furent hypothéqués sur les propriétés foncières et mobilières ; la taxation des denrées fut votée, la recension générale des récoltes et leur réquisition mises en oeuvre : « Le blé, étant une partie inhérente à l’existence de l’espèce humaine, le cultivateur qui le récolte n’est que le fermier de tous, et tout ce qui excède sa propriété, c’est-à-dire les subsistances qui assurent son existence, est un dépôt sacré qui appartient à tous les individus en lui accordant un juste et préalable indemnité... » proclamait une adresse de la municipalité ; en avril, un Comité de Salut Public fut nommé, et le 14 mai, une « armée révolutionnaire » levée de 6400 hommes, pour faire appliquer la loi sur le maximum et dont deux bataillons devaient partir en Vendée. Mais Chalier ne put se maintenir : fin mai, le bruit courut de nouveau qu’il était en réalité un royaliste déguisé qui mettait Lyon à feu et à sang pour faciliter l’invasion étrangère. Le 29 mai, les sections, de tendance girondine, se soulevèrent contre la municipalité avec l’appui du directoire de département. Après une journée de combats, l’Hôtel de ville fut pris et les municipaux arrêtés. Chalier fut jeté en prison.

Accusé de façon absurde de complot royaliste, il se défendit en écrivant à la Convention pour se justifier et réclamer d’être jugé à Paris. L’Assemblée réagit, quoiqu’assez lentement : elle chargea Lindet de mener une enquête sur place. Le 21 juin, l’affaire fut débattue à la Convention, qui face à un rapport favorable à la municipalité lyonnaise, décréta la suspension des poursuites contre Chalier et ses proches, et prit sous sa sauvegarde « les personnes arrêtées à Lyon dans les derniers troubles qui ont eu lieu. » Mais les nouveaux maîtres de Lyon rejetèrent le décret, conduisant la ville à la sécession ouverte. Chalier fut jugé et condamné à mort le 15 juillet.

Le prêtre qui l’assista, et qu’il ne semble pas avoir repoussé, a rapporté ses dernières paroles : « Je donne mon âme à l’Eternel, mon cœur aux patriotes et mon corps aux scélérats. Je n’ai qu’une seule grâce à demander au peuple de Lyon, c’est que je sois la seule victime et qu’il pardonne à tous les autres. » Il fut guillotiné le 17 juillet.  On dit que le couperet, manié par des mains néophytes, dut tomber trois fois, et le bourreau achever la décollation au couteau À l'annonce de ces événements, la Convention décréta le siège de la ville et éleva Chalier au statut de martyr de la République, aux côtés de Lepeletier de Saint-Fargeau et de Marat

 

Chalier aurait-il approuvé les exécutions de masse qui découlèrent de sa propre mort ? C’est possible puisqu' il s'était déclaré favorable à un Tribunal Révolutionnaire et à des procédures d’exceptions.  Comment, par ailleurs, interpréter son fameux, mais finalement mal documenté, « mysticisme » mi-chrétien, mi révolutionnaire ? Chalier était-il, comme on l’a beaucoup écrit, atteint de troubles mentaux qui justifieraient l’apparente incohérence existant entre ses capacités d’administrateur lucide et de magistrat pondéré, que nul ne peut nier, et la violence désordonnée, haletante de ses exhortations au peuple lyonnais ? Le souvenir laissé par cet homme est si contrasté, entre ceux qui virent en lui un disciple idéaliste de Rousseau et ceux qui qui firent de lui le père de la terreur qui s'abattit sur Lyon et causèrent plus de 2000 morts en quelques semaines.

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