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littérature

  • Paul Lintier

    Il est dans le deuxième arrondissement de la bonne ville de Lyon une petite rue assez courte et peu connue, dans le quartier de Bellecour. C'est la rue Paul Lintier, écrivain et critique d'art à présent injustement oublié par les éditeurs.

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    Pour acquérir  ses ouvrages tous épuisés, une seule solution : être à l'affût sur ebay, ou les commander.  Paul Lintier, critique d'art dans le civil puis artilleur sur le front, est l’auteur de deux journaux de guerre importants : Le tube 1233(1917) et Ma pièce (1918). L'Académie couronna le premier, l'Humanité publia le second en feuilleton. Dans le premier, Lintier a cette expression pour désigner la guerre moderne dont il découvre l'horreur sur le front : « la guerre n'est rien d'autre que l'absurde victoire du fer sur l'esprit » Sensation insupportable de compter pour du beurre, dans l'héroïsme autant que dans la lâcheté : « Pourquoi, au lieu de nous leurrer de victoires imaginaires, ne pas nous avoir dit : Nous avons affaire à un ennemi supérieur en nombre. Nous sommes obligés de reculer en attendant que notre concentration s’achève et que les renforts anglais arrivent ? Avait-on peur de nous effrayer par le mot retraite, alors que nous en connaissions la réalité ? Pourquoi ? Pourquoi nous avoir trompés, nous avoir démoralisés ? » 

     Ecrit à froid, au jour le jour, sans complaisance, sans emphase, sans plainte, Lintier, un jeune homme cultivé, tolérant, énonce cet effroi, ce cafard qui s'est saisi de lui devant l’énigme moderne de la machine mise au service de la destruction.  Jean Norton Cru (1), on le sait, ne fut pas tendre avec les romanciers de la guerre, du type de Roland Dorgelès ou d'Henri Barbusse  : « Ceux qui souhaitent que la vérité de la guerre se fasse jour regretteront qu’on ait écrit des romans de guerre, genre faux, littérature à prétention de témoignage, où la liberté d’invention, légitime et nécessaire dans le roman strictement littéraire, joue un rôle néfaste dans ce qui prétend apporter une déposition. Tous les auteurs de romans de guerre se targuent de parler en témoins qui servent la vérité, qui révèlent au public la guerre telle qu’elle fut. ils s’indignent si on élève un doute sur le moindre détail de leurs récits. Comment concilier cette prétention avec la liberté d’expression et l’indépendance de l’artiste ? En fait les romans ont semé plus d’erreurs, confirmé plus de légendes traditionnelles, qu’ils n’ont proclamé de vérités, ce qui était à prévoir. » Or les seuls écrits qu'il sauve, dans son petit opuscule Du Témoignage, sont précisément ceux de Paul Lintier.

    De même Henri Béraud, qui écrit dans la préface du journal de 1917 : « Et le dernier fut Paul Lintier, l’auteur de Ma Pièce et, de loin, le plus grand écrivain de la guerre, l’espoir assassiné de notre génération (…) Il fut tué le 15 mars 1916 sur l’Hartmanswillerkopf, en laissant deux livres pétris de la terre des morts et du sang des soldats. Sur la manche gauche de sa vareuse, il avait fait tailler une poche et, dans cette poche, il y avait un carnet de notes où ses compagnons de pièce lurent à travers leurs larmes : Je vais mourir. Sur les perspectives de l’avenir qui toujours sont remplies de soleil, un grand rideau tombe. C'est fini. Cela n'aura pas été long. J’ai vingt ans. »

    Béraud et Lintier s'étaient bien connus à Lyon. Ils étaient amis des mêmes peintres. Lintier avait réalisé une étude sur Adrien Bas (2), dont Béraud avait déjà signé la préface. 

    « Je fus probablement le seul confident littéraire de Paul Lintier, le seul écrivain qui l’eût connu, fréquenté, encouragé durant son éphémère et charmant passage (…) Nous nous aimions comme s’aiment deux poètes dans les romans de 1830», écrit-il.

    Et, plus loin :

    « Très tôt, il avait compris que la plus haute tâche du romancier a pour fins la notation des grands rythmes humains et de l’âme complexe, convulsive et décevante des foules. Il accumulait les observations sans rien noter, riche d’une extraordinaire mémoire. Surtout, il regardait. Et il savait voir. C’est le don le plus rare chez l’écrivain autant que chez le peintre. Il mourut quand il atteignait à peine vingt trois ans – un âge où la plupart n’ont guère dépassé les projets, les doutes et les intentions. Et, déjà, il projetait des grands livres. Si l’on en publie un jour les plans, les ébauches, les fragments, nous connaîtrons que Lintier eût porté l’un des plus beaux noms des lettres françaises modernes. »(3)

    Tout cela n’a pas empêché Lintier d’être foudroyé par un obus, alors qu’il était en train d’écrire, précisément.

    Écrire :

     « Ceux qui viendront ici, et qui verront le grand geste uniforme que tracent sur la terre les croix, lorsque le soleil roulant dans le ciel fait bouger les ombres, s’arrêtent et comprennent la grandeur du sacrifice. C’est cela que veulent nos morts. C’est cela que nous voulons, nous qui demain, serons peut-être des morts. »  (Paul Lintier, Ma Pièce )

     

    Ci-dessous, un passage, censuré à l'époque, dans lequel il évoque le trouble intime, le grand effort consenti, le probable avortement de l'entreprise... (4)

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    1. Jean Norton Cru, Du Témoignage, Ed. Allia, Paris, 1990. Notons également que Dorgelès, lui-même, évoque  allusivement dans la dernière phrase de son de son roman  le remords « d’avoir ri de vos peines » et « le pipeau » qu’il aurait « taillé dans le bois de vos croix ».

    2Un peintre, Adrien bas, Paul Lintier, L’œuvre nouvelle, 1913

    3. "Souvenirs sur Paul Lintier", préface de Le Tube 1233, Paul Lintier, Paris, Plon, 1917

    4. Ce document, ainsi que la photo où l'on voit Paul Lintier peu avant sa mort en train d'être rasé, nous ont été communiquées par Dominique Rhéty.

     

  • Pierre Dupont

     « Quand j’entendis cet admirable cri de douleur et de  mélancolie (Le chant des ouvriers, 1846), je fus ébloui et attendri. Il y avait tant d’années que nous attendions un peu de poésie forte et vraie (…) Il est impossible, à quelque parti qu’on appartienne, de quelques préjugés qu’on ait été nourri, de ne pas être touché du spectacle de cette multitude maladive respirant la poussière des ateliers, avalant du coton, s’imprégnant de céruse, de mercure et de tous les poisons nécessaires à la création des chefs-d’œuvre, dormant dans la vermine, au fond des quartiers  où les vertus les plus humbles et les plus grandes nichent à côté des vices les plus endurcis …» C’est Baudelaire qui écrivit ceci, dans l’un des deux articles qu’il consacre au lyonnais Pierre Dupont sans sa Critique Littéraire. 

     

    La rue Pierre Dupont, dans le 1er arrondissement de Lyon,  est parallèle au boulevard de la Croix-Rousse, du cours du général Giraud à la rue des Chartreux. Avant d’être dédiée au poète chansonnier du dix-neuvième siècle, l’un de ses tronçons portait le nom du Cardinal Fesch, oncle de Napoléon Ier qui fut archevêque de Lyon, l’autre le nom de « clos des Chartreux », en raison du domaine qui jouxtait la rue.

    Pierre Dupont vécut cinquante ans, de 1821 à 1871. Il avait perdu sa mère à quatre ans. Son père, forgeron, fut tué pendant l’insurrection lyonnaise de 1831. Son parrain,  qui était prêtre, prêtre fit parachever son éducation au séminaire de Largentière. Au sortir de la maison religieuse, Dupont entra dans la canuserie, où il fut apprenti. Puis il devint employé de banque et, grâce au soutien d’un académicien, obtint un poste à la rédaction du Dictionnaire. Il commença à écrire très jeune, une œuvre qui se décompose en trois : des chants rustiques, des chants ouvriers, et quelques poèmes philosophiques ; l’écriture de Dupont, pour paraphraser Baudelaire, est hantée par deux secrets, qui sont les clés de sa fortune d'alors, et celles aussi de l'oubli dans lequel il est tombé à présent : « la joie et le goût infini de la République ».

    On raconte qu’encore jeune, Pierre Dupont se rendit place Royale pour rencontrer Victor Hugo. Comme ce dernier était absent, il lui laissa sa carte sur laquelle il crayonna les vers suivants :

    « Si tu voyais une anémone

    Languissante et près de périr,

    Te demander, comme une aumône,

    Une goutte d’eau pour fleurir ;

     

    Si tu voyais une hirondelle

    Un jour d’hiver te supplier,

    A ta vitre battre de l’aile,

    Demander place à ton foyer,

     

    L’hirondelle aurait sa retraite,

     L’anémone sa goutte d’eau !

     Pour toi, que ne suis-je, ô Poète,

    Ou l’humble fleur ou l’humble oiseau. « 

    Gounod lui trouvait une voix remarquable et s’étonna qu’il ne connût rien à la musique. A quoi Dupont répondit qu’il était heureux de n’y rien connaître, et qu’il ne tenait pas à l’apprendre. Une date, dans sa vie, a été un moment charnière : celle de février 1848, dont son Chant des Ouvriers devint l’hymne. Il mourut l’année même de la consécration définitive de cette dernière, après avoir, de 1848 à 1870 traversé le règne de Napoléon III en ardent républicain. A cause de ses aspirations socialistes, il avait été condamné pour sept années à la déportation après le coup d’Etat de 1851 et avait dû sa grâce à quelques puissants admirateurs, ainsi qu’à l’allégeance qu’on le força de prononcer envers le nouveau régime. Pour toute sa génération, Pierre Dupont, fut, digne successeur de Bérenger, le talentueux chansonnier du petit peuple, le chantre militant de la République. Jusqu’à la guerre de 14, et au gigantesque fossé d’oubli qu’elle creusa entre un avant et un après, une romance à la Dupont, c’est ce qui accompagnait les hommes, des fêtes données pour leur baptême, à celles données lors de leur enterrement, en passant par les banquets de mariage.  Dupont laissa  la réputation d’un solide bon vivant, qui  buvait comme un héros antique. « Les vieux de Vaise, relate Louis Maynard dans son Dictionnaire des Lyonnaiseries, ont longtemps conservé le souvenir de beuveries qui duraient plusieurs jours et plusieurs nuits. » Béraud, dans sa Gerbe d’Or, rappelle avec verve la façon dont son père boulanger, républicain passionné, ténorisait du Dupont au pétrin, dans une page de son récit d'enfance que traverse, de part en part, la gaieté.

     

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    On a, depuis, oublié Pierre Dupont et sa philosophie simple. En voici quelques couplets :

    Rêve, paysan, rêve :

    Entends la semence qui lève,

    Regarde tes bourgeons rougir,

    Et comme tes enfants grandir :

    C’est l’avenir !

    (Le Rêve du paysan)

     

    Aimons-nous, et quand nous pouvons

    Nous unir pour boire à la ronde,

    Que le canon se taise ou gronde,

    Buvons, buvons, buvons,

    A l’indépendance du monde !

    (Le chant des ouvriers)

     

    Alerte, imprimeurs !

    Inondez  de lueurs

    Le monde qui tâtonne ;

    Faut-il que le flambeau

    Reste sous le boisseau ?

    Non, il faut qu’il rayonne !

    ( L’imprimerie)

     

    Gouttes d’eau, filles du nuage,

    Filtrez à travers le feuillage

    Sur l’étang attiédi,

    Car ma mie au gentil corsage,

    Aux pieds blancs, au rose visage,

    Y vient sur le midi.

    ( Midi )

     

    Des deux pieds battant mon métier,
    Je tisse, et ma navette passe,
    Elle siffle, passe et repasse,
    Et je crois entendre crier
    Une hirondelle dans l’espace.

    ( Le Tisserand)

     

    Aux armes, courons aux frontières,

    Qu'on mette au bout de nos fusils

    Les oppresseurs de tous pays

    Les poitrines des Radetskis !

    Les peuples sont pour nous des frères,

    Et les tyrans, des ennemis.

    ( Le chant des Soldats)

    

    Le 20 octobre 2010 à 20h 30, au cinéma Saint-Denis (grande rue de la Croix-Rousse), Jean Butin et Gérard Truchet donneront une conférence en chansons sur la vie trop oublié de ce chansonnier.

     

  • Adamoli

    N’y a bien qu’ici qu’on a l'idée d'appeller cela une rue : s’agit en fait, comme beaucoup d’artères des pentes de cette colline d’une montée d’escaliers. Ou d’une descente c’est selon. Qui n’a pas même dix numéros d’immeubles de part et d’autres des marches. Pierre Adamoli fut baptisé à Saint Paul le 5 août 1707 à l’âge de deux jours. Il était issu d’une famille de marchands de soie et de banquiers italiens et fut de son vivant garde des ports des ponts et des passages de Lyon. Il s’occupa beaucoup de ce qu’on appelait alors « les antiquités lyonnaises », recherchant notamment le palais impérial des Césars qui, selon lui devait occuper tout le plateau de Fourvière.

    Bibliophile et numismate averti, il rassembla quantité d’ouvrages allant des premiers incunables jusqu’à ceux de son époque. Il tint toute sa vie un livre de raison à propos de sa bibliothèque, où il consignant descriptions, notes prix payé et prix estimé. A sa mort, le 5 juin 1769, ce célibataire légua (par acte signé en 1762) ses collections à l’Académie des sciences, Belles Lettres et arts de Lyon : six mille deux cent trente volumes ainsi que des manuscrits, un médaillier de 1016 pièces de monnaies (lesquelles disparurent pendant la période révolutionnaire) et une collection de tableaux. L’Académie s’étant gardée d’ouvrir le legs au public comme le testament l’avait stipulé, un procès s’en suivit avec les héritiers. La bibliothèque passa entre les mains de la ville en 1793 qui  entassa les volumes, tous marqués du même ex-libris, dans les caves du palais Saint-Pierre, puis regagna l’Académie en 1825. Depuis 1960 constitue « le fonds Adamoli » de la bibliothèque de la Part-Dieu (4227 volumes, très exactement, sur les 6230 initalement légués).

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    En raison d’une querelle à laquelle il prit part, le nom de Pierre Adamoli reste associé à une jambe de cheval en bronze qui fut retirée de la Saône par des nautoniers le 5 février 1766, alors que la rivière était basse et gelée près du confluent situé à l’époque à Ainay. On ne retrouva jamais le reste de la statue.

    Le 23 février 1963 un effondrement partiel des immeubles situés le long de la rue avait alerté les riverains en pleine nuit à l’endroit du chantier. Le maire Pradel prit alors la décision de consolider le sous-sol et de construire un mur de béton de soutènement, qui barre désormais totalement la rue et de raser un immeuble mitoyen pour le remplacer par ce qui est devenu depuis le square de la rue Magneval.  Serge Graveau situa l’action de son roman De l’or sous la Croix-Rousse (1) dans les arêtes en réseaux qui refont depuis peu parler d’elles à l’occasion du percement du tunnel de la Croix-Rousse dont l’entrée se situe selon lui « au centre du rectangle Adamoli ». Voici comme il décrit le paysage à l’époque : « Après le restaurant des Fantasques je constatai finalement que, dans le rectangle Adamoli, les travaux de démolition étaient fort avancés. Quelques pans de murs se dressaient encore sur le ciel révélant une mosaïque étrange et émouvante de papiers peints encore accrochés alors que planchers et plafonds avaient disparu. Ce mur multicolore, gardant suspendus à lui par endroits placards éviers cheminées une vieille gravure même, était comme un être surpris dans son inimité. »

     

     

    Serge Graveau De l’or sous la croix-rousse, Les presses universelles, 1975

  • Pierre Scize

    « Parmi les vieux châteaux dont la France se dépouille à regret chaque années, il y en avait un, d’un aspect sombre et sauvage, sur la rive gauche de la Saône… » écrit Vigny dans Cinq-Mars.) « Du puissant château fort, pas même une ruine ! », récite de son côté un poète local méprisé : Comme l’ont chanté l’illustre Vigny ainsi que l’obscur Amédée Matagrin, lorsque le temps fut venu, l’immense forteresse du quai Pierre Scize, qui avait servi de prison durant des siècles et dont le nom venait de la pierre scize ( pierre fendue) sur l’ordre d’Agrippa, et qu’on pourrait nommer la Bastille lyonnaise, disparut corps et bien.

    Pierre Virès, qui dans son roman Les Gueux de Lyon raconte le siège du château par les gueux de Lyon, en 1588, le décrit brièvement : « Sur ce versant regardant Vaise, les obstacles naturels avaient toujours semblé assez infranchissable pour ne pas exiger de surveillance ; il n’en était pas de même du côté de la Saône. Là, un large fossé protégeait les abords, et une arche de pierre très étroite, fermée par une grille, donnait seule accès à un escalier de cent trente deux marches creusées dans le roc, véritable échelle de granit par laquelle on parvenait à ce nid d’aigle, appelée la forteresse de Pierre Scize. »

    Les quelques nuits que Cinq Mars et de Thou y passèrent, avant leur exécution en 1642 sur la place des Terreaux, sont rapportés en 1831 par Léon Boitel :

    « MM. De Cinq Mars et de Thou, conduits à la forteresse de Pierre-Scize, l’instruction de leur procès commença dès le lendemain. Le château de Pierre-Scize, autrefois siège du pouvoir sacerdotal, était devenu prison d’état sous Louis XI. De 5MarsPierre-Scize.jpgnoires murailles entourées de bosquets, des tours bizarrement dessinées formaient, avec la forteresse de l’autre côté de la rivière, une masse imposante de fortifications qui se reflétaient dans la Saône. C’est là que, durant huit jours, les prisonniers se préparèrent, par la prière, à une mort qu’ils attendaient avec résignation »

    Le 9 septembre 1791, le château fut pris par la foule. Dans les colonnes du Salut Public, Désiré Bigot publie en feuilleton en 1850 un roman, Le gone de Saint-Georges, qui retrace ces événements sanglants tout en romançant le déroulement :

    « De vagues rumeurs grondaient dans la ville depuis deux ou trois jours. On parlait de meurtres et d’assassinats, contre les prêtres surtout. Mais personne n’ajoutait foi à ces propos. Dans tous les coins, on était loin de penser que les égorgeurs oseraient se présenter contre le fort de Pierre Scize, dont l’entrée pouvait être facilement défendue. Les gardes nationaux n’avaient donc aucune inquiétude, lorsque dans l’après-dînée, à quatre heures environ, la sentinelle qui se promenait à la porte Basse signala l’approche d’une foule menaçante qui s’avançait par le quai Bourgneuf : presque en même temps, une autre bande paraissait dans le chemin de Montauban, venant prendre la forteresse en flanc, pendant que la troupe principale l’abordait de front. »

    Le texte est à peine romancé : la foule ne parvint à tuer ce jour-là à que huit des neuf prisonniers retenus alors dans la forteresse. Mais la violence que subirent ces malheureux fut extraordinaire : après les avoir sauvagement décapités, on porta leurs têtes au bout d’une pique par toute la ville, jusqu'à la scène du théâtre des Célestins.
    En 1793, l’ancienne résidence des archevêques, dernier vestige conséquent des burgondes à Lyon, fut entièrement démoli sur l’ordre de Couthon, en même temps que 161 maisons du quai Bourgneuf. Lyon perdit ce jour-là l’un de ses plus paysages les plus pittoresques, dont on ne peut plus admirer le romantique aspect que sur d'anciennes toiles ou gravure. Dans la réalité, seul demeure le roc qui donna son nom à ce quai, lequel abrite l'Homme de la Roche. Placée sous une grotte et encadrée de vigne-vierge, cette statue fut érigée  à  la mémoire de Jean Kléberger, « le bon Allemand »  (vers 1486- 1546). Ce fut d’abord une statue en bois coloriée, le représentant en héros romain.

     Né à Nuremberg, ce négociant  avait obtenu le droit de cité lyonnaise en 1536 après avoir sillonné le pays de foires en foires et spéculé pour son propre compte jusqu’à devenir l’un des banquiers officieux de François 1er qui menait alors ses guerres d’Italie. Il habita une maison à présent détruite au 93 rue des Farges ( des forges – ou ateliers) et fut l’un des premiers administrateurs de l’Aumône générale à laquelle il légua à sa mort pas moins de quatre mille livres. La tradition veut qu’il dotât les filles pauvres de ce quartier populaire de Bourgneuf.  Aucune fondation ne porte cependant son nom. Monsieur Josse, dans son livre « A travers Lyon » remet en doute cette belle légende, rappellant que « trop souvent, cette libéralité posthume n’a eu d’autre objet que d’expier des libéralités moins avouables et pratiquées en sens contraire, au cours d’une existence facile. »

    (1)  Monsieur Josse, A travers Lyon, 1887, p. 98

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  • Louis Pize

    Le 23 mai 1983 était inaugurée la rue Louis Pize à la Croix-Rousse, non loin des cimetières (ancien et nouveau). Elle honorait un poète ardéchois né le 18 mai 1892 à Bourg-Saint-Andéol, petite ville située en bordure du Rhône. Son père exerçait la profession d’inspecteur de l’enregistrement. Il mourut en 1903, alors que le jeune Louis n’avait que onze ans. Brillant élève au lycée Gabriel Faure de Tournon sur Rhône en Ardèche, il s’installe en 1909 avec sa mère et sa sœur à Lyon. Inscrit à la faculté de droit, il obtient une licence mais demeure plus attiré par les Lettes. Il publie en 1913 son premier recueil de poèmes, pour lequel il reçoit les félicitations de Francis Jammes. Blessé à Saint-Dié (dans less Vosges)  durant la guerre de Quatorze, il est décoré de la Croix-de Guerre.

    En 1922, il se marie avec G. Ricard et abandonne le droit pour se tourner vers l'enseignement. Il devient alors professeur de Lettres classiques à l'Externat St-Joseph de la rue Sainte-Hélène à Lyon en 1924. Louis Pize est auteur d’une pièce de théâtre d’ouvrages historiques et touristiques, mais surtout de recueils de poèmes Élu membre de l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, il en devient président en 1964. Avec Charles Forot, il participe à la création des Editions du Pigeonnier à Saint-Félicien. A sa retraite, celui que ses amis appelaient le « Virgile du Vivarais » se retire dans sa maison de Saint-André-en-Vivarais. Il s'éteint le 4 septembre 1976. Il aura collaboré à de nombreuses revues dont La Revue du Vivarais, La Revue des Deux-Mondes, Le Mercure de France.

    La poésie de Louis Pize est de facture classique. Parmi les recueils importants qu’il a écrits, on peut signaler :

    • La Couronne de Myrte. Les Essaims nouveaux et chez Emile Paul (1919).
    • Les Pins et les Cyprès. Garnier, Paris (1921). Prix Villard, du Conseil Général de l'Ardèche.
    • Les Feux de Septembre. Garnier, Paris (1931). Prix Emile Blémont de la Maison de Poésie.
    • Le Bois des Adieux (1949). Editions I.A.C. Lyon-Paris. Prix Alfred Droin, de la société des Gens de Lettres.
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  • Conférence

    L’ESPRIT CANUT propose : 

    REFLETS DU TERRITOIRE DANS LA LITTERATURE LYONNAISE

     

    Conférence par Roland Thevenet

     

    Le Mercredi 3 février à 20h 30

    Cinéma Saint-Denis

    77 grande rue de la Croix-ROUSSE

    Entrée 5 euros

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    De Sénèque à Jules Michelet, de Maurice Scève à Jean Reverzy...  C’est surtout entre 1830 et 1930, alors que le destin de la ville et son identité sont liés presque exclusivement à la Fabrique de la Soie, que cette Comédie Lyonnaise eut pleinement droit de Cité. Nous suivrons durant cette soirée sa naissance difficile, ses heures de gloire et son déclin, tout en nous posant la question de ses enjeux et de sa légitimité.

  • Jean-Jacques Rousseau (quai)

    Au confluent du Rhône et de la Saône, dans la commune de La Mulatière qui jouxte Lyon, Jean-Jacques le doux possède son quai, souvenir de ses multiples promenades dans la capitale des Gaules.

    Après un premier et furtif passage « en coup de vent » en 1730 en compagnie de Le Maître qu’il abandonne rapidement, le premier véritable séjour de Rousseau à Lyon date à la fin de l’été 1731. Il a alors 20 ans. C’est à cette occasion qu’il passe sa fameuse nuit, « à la belle étoile », dans cette anfractuosité le long de l’actuel quai des Etroits, entre Perrache et la Mulatière, page reprise dans toutes les anthologies de littérature lyonnaise depuis. C’est aussi lors de cette visite qu’il se fait accoster par un ouvrier en soie taffetatier, place Bellecour, qui lui suggère de « s’amuser », ensemble et chacun pour son compte. Un peu plus tard, il reçoit des propositions d’un ecclésiastique. « Il m’en est resté une impression peu avantageuse au peuple de Lyon et j’ai toujours regardé cette ville comme celle de l’Europe où règne la plus affreuse corruption » » écrit-il dans le livre IV des Confessions.

    « J’avais à peu près les connaissances nécessaires pour un précepteur, et j’en croyais avoir le talent » Alors que sa relation avec Maman se distend, Rousseau rejoint Lyon en 1740 et y devient, un an durant, rue Saint-Dominique (actuelle rue Emile Zola) précepteur des deux fils de Jean Bonnot de Mably (1696-1761) grand prévôt du Lyonnais, dont il lit avec intérêt le Parallèle des Romains et des Français par rapport au gouvernement (1740). Les enfants du prévôt ne se prénomment pas Emile ni Sophie, c’est pourtant durant ce séjour que Rousseau, dans un Mémoire, jette sur papier ses premières théories sur l’éducation des enfants. En quelques pages à la fin du sixième livre de ses Confessions Rousseau raconte cependant son échec auprès de ses élèves, échec qu’il attribue au manque de prudence. Il explique également comment il dut quitter cet emploi à la suite de menus larcins par lui commis (vols de bouteilles de vin blanc d’Artois).

    Il revient une nouvelle fois à Lyon en 1768 et rend visite dans sa maison de Val-de-Crécy qui sera la demeure d’Henri Béraud de 1930 à 1938 à Madame Boy de la Tour.

    Le dernier séjour de Rousseau date de 1770. On le retrouve, avec Thérèse Levasseur, en compagnie d’Horace Coignet, un négociant mélomane avec lequel il fréquente le Grand Concert. Deux œuvres de Rousseau, Pygmalion et le Devin du Village, sont données en sa présence à l’Hôtel de Ville, le 19 avril de cette année-là.

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