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  • Pierre Dupont

     « Quand j’entendis cet admirable cri de douleur et de  mélancolie (Le chant des ouvriers, 1846), je fus ébloui et attendri. Il y avait tant d’années que nous attendions un peu de poésie forte et vraie (…) Il est impossible, à quelque parti qu’on appartienne, de quelques préjugés qu’on ait été nourri, de ne pas être touché du spectacle de cette multitude maladive respirant la poussière des ateliers, avalant du coton, s’imprégnant de céruse, de mercure et de tous les poisons nécessaires à la création des chefs-d’œuvre, dormant dans la vermine, au fond des quartiers  où les vertus les plus humbles et les plus grandes nichent à côté des vices les plus endurcis …» C’est Baudelaire qui écrivit ceci, dans l’un des deux articles qu’il consacre au lyonnais Pierre Dupont sans sa Critique Littéraire. 

     

    La rue Pierre Dupont, dans le 1er arrondissement de Lyon,  est parallèle au boulevard de la Croix-Rousse, du cours du général Giraud à la rue des Chartreux. Avant d’être dédiée au poète chansonnier du dix-neuvième siècle, l’un de ses tronçons portait le nom du Cardinal Fesch, oncle de Napoléon Ier qui fut archevêque de Lyon, l’autre le nom de « clos des Chartreux », en raison du domaine qui jouxtait la rue.

    Pierre Dupont vécut cinquante ans, de 1821 à 1871. Il avait perdu sa mère à quatre ans. Son père, forgeron, fut tué pendant l’insurrection lyonnaise de 1831. Son parrain,  qui était prêtre, prêtre fit parachever son éducation au séminaire de Largentière. Au sortir de la maison religieuse, Dupont entra dans la canuserie, où il fut apprenti. Puis il devint employé de banque et, grâce au soutien d’un académicien, obtint un poste à la rédaction du Dictionnaire. Il commença à écrire très jeune, une œuvre qui se décompose en trois : des chants rustiques, des chants ouvriers, et quelques poèmes philosophiques ; l’écriture de Dupont, pour paraphraser Baudelaire, est hantée par deux secrets, qui sont les clés de sa fortune d'alors, et celles aussi de l'oubli dans lequel il est tombé à présent : « la joie et le goût infini de la République ».

    On raconte qu’encore jeune, Pierre Dupont se rendit place Royale pour rencontrer Victor Hugo. Comme ce dernier était absent, il lui laissa sa carte sur laquelle il crayonna les vers suivants :

    « Si tu voyais une anémone

    Languissante et près de périr,

    Te demander, comme une aumône,

    Une goutte d’eau pour fleurir ;

     

    Si tu voyais une hirondelle

    Un jour d’hiver te supplier,

    A ta vitre battre de l’aile,

    Demander place à ton foyer,

     

    L’hirondelle aurait sa retraite,

     L’anémone sa goutte d’eau !

     Pour toi, que ne suis-je, ô Poète,

    Ou l’humble fleur ou l’humble oiseau. « 

    Gounod lui trouvait une voix remarquable et s’étonna qu’il ne connût rien à la musique. A quoi Dupont répondit qu’il était heureux de n’y rien connaître, et qu’il ne tenait pas à l’apprendre. Une date, dans sa vie, a été un moment charnière : celle de février 1848, dont son Chant des Ouvriers devint l’hymne. Il mourut l’année même de la consécration définitive de cette dernière, après avoir, de 1848 à 1870 traversé le règne de Napoléon III en ardent républicain. A cause de ses aspirations socialistes, il avait été condamné pour sept années à la déportation après le coup d’Etat de 1851 et avait dû sa grâce à quelques puissants admirateurs, ainsi qu’à l’allégeance qu’on le força de prononcer envers le nouveau régime. Pour toute sa génération, Pierre Dupont, fut, digne successeur de Bérenger, le talentueux chansonnier du petit peuple, le chantre militant de la République. Jusqu’à la guerre de 14, et au gigantesque fossé d’oubli qu’elle creusa entre un avant et un après, une romance à la Dupont, c’est ce qui accompagnait les hommes, des fêtes données pour leur baptême, à celles données lors de leur enterrement, en passant par les banquets de mariage.  Dupont laissa  la réputation d’un solide bon vivant, qui  buvait comme un héros antique. « Les vieux de Vaise, relate Louis Maynard dans son Dictionnaire des Lyonnaiseries, ont longtemps conservé le souvenir de beuveries qui duraient plusieurs jours et plusieurs nuits. » Béraud, dans sa Gerbe d’Or, rappelle avec verve la façon dont son père boulanger, républicain passionné, ténorisait du Dupont au pétrin, dans une page de son récit d'enfance que traverse, de part en part, la gaieté.

     

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    On a, depuis, oublié Pierre Dupont et sa philosophie simple. En voici quelques couplets :

    Rêve, paysan, rêve :

    Entends la semence qui lève,

    Regarde tes bourgeons rougir,

    Et comme tes enfants grandir :

    C’est l’avenir !

    (Le Rêve du paysan)

     

    Aimons-nous, et quand nous pouvons

    Nous unir pour boire à la ronde,

    Que le canon se taise ou gronde,

    Buvons, buvons, buvons,

    A l’indépendance du monde !

    (Le chant des ouvriers)

     

    Alerte, imprimeurs !

    Inondez  de lueurs

    Le monde qui tâtonne ;

    Faut-il que le flambeau

    Reste sous le boisseau ?

    Non, il faut qu’il rayonne !

    ( L’imprimerie)

     

    Gouttes d’eau, filles du nuage,

    Filtrez à travers le feuillage

    Sur l’étang attiédi,

    Car ma mie au gentil corsage,

    Aux pieds blancs, au rose visage,

    Y vient sur le midi.

    ( Midi )

     

    Des deux pieds battant mon métier,
    Je tisse, et ma navette passe,
    Elle siffle, passe et repasse,
    Et je crois entendre crier
    Une hirondelle dans l’espace.

    ( Le Tisserand)

     

    Aux armes, courons aux frontières,

    Qu'on mette au bout de nos fusils

    Les oppresseurs de tous pays

    Les poitrines des Radetskis !

    Les peuples sont pour nous des frères,

    Et les tyrans, des ennemis.

    ( Le chant des Soldats)

    

    Le 20 octobre 2010 à 20h 30, au cinéma Saint-Denis (grande rue de la Croix-Rousse), Jean Butin et Gérard Truchet donneront une conférence en chansons sur la vie trop oublié de ce chansonnier.

     

  • Adamoli

    N’y a bien qu’ici qu’on a l'idée d'appeller cela une rue : s’agit en fait, comme beaucoup d’artères des pentes de cette colline d’une montée d’escaliers. Ou d’une descente c’est selon. Qui n’a pas même dix numéros d’immeubles de part et d’autres des marches. Pierre Adamoli fut baptisé à Saint Paul le 5 août 1707 à l’âge de deux jours. Il était issu d’une famille de marchands de soie et de banquiers italiens et fut de son vivant garde des ports des ponts et des passages de Lyon. Il s’occupa beaucoup de ce qu’on appelait alors « les antiquités lyonnaises », recherchant notamment le palais impérial des Césars qui, selon lui devait occuper tout le plateau de Fourvière.

    Bibliophile et numismate averti, il rassembla quantité d’ouvrages allant des premiers incunables jusqu’à ceux de son époque. Il tint toute sa vie un livre de raison à propos de sa bibliothèque, où il consignant descriptions, notes prix payé et prix estimé. A sa mort, le 5 juin 1769, ce célibataire légua (par acte signé en 1762) ses collections à l’Académie des sciences, Belles Lettres et arts de Lyon : six mille deux cent trente volumes ainsi que des manuscrits, un médaillier de 1016 pièces de monnaies (lesquelles disparurent pendant la période révolutionnaire) et une collection de tableaux. L’Académie s’étant gardée d’ouvrir le legs au public comme le testament l’avait stipulé, un procès s’en suivit avec les héritiers. La bibliothèque passa entre les mains de la ville en 1793 qui  entassa les volumes, tous marqués du même ex-libris, dans les caves du palais Saint-Pierre, puis regagna l’Académie en 1825. Depuis 1960 constitue « le fonds Adamoli » de la bibliothèque de la Part-Dieu (4227 volumes, très exactement, sur les 6230 initalement légués).

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    En raison d’une querelle à laquelle il prit part, le nom de Pierre Adamoli reste associé à une jambe de cheval en bronze qui fut retirée de la Saône par des nautoniers le 5 février 1766, alors que la rivière était basse et gelée près du confluent situé à l’époque à Ainay. On ne retrouva jamais le reste de la statue.

    Le 23 février 1963 un effondrement partiel des immeubles situés le long de la rue avait alerté les riverains en pleine nuit à l’endroit du chantier. Le maire Pradel prit alors la décision de consolider le sous-sol et de construire un mur de béton de soutènement, qui barre désormais totalement la rue et de raser un immeuble mitoyen pour le remplacer par ce qui est devenu depuis le square de la rue Magneval.  Serge Graveau situa l’action de son roman De l’or sous la Croix-Rousse (1) dans les arêtes en réseaux qui refont depuis peu parler d’elles à l’occasion du percement du tunnel de la Croix-Rousse dont l’entrée se situe selon lui « au centre du rectangle Adamoli ». Voici comme il décrit le paysage à l’époque : « Après le restaurant des Fantasques je constatai finalement que, dans le rectangle Adamoli, les travaux de démolition étaient fort avancés. Quelques pans de murs se dressaient encore sur le ciel révélant une mosaïque étrange et émouvante de papiers peints encore accrochés alors que planchers et plafonds avaient disparu. Ce mur multicolore, gardant suspendus à lui par endroits placards éviers cheminées une vieille gravure même, était comme un être surpris dans son inimité. »

     

     

    Serge Graveau De l’or sous la croix-rousse, Les presses universelles, 1975

  • Saint-Polycarpe

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    La rue Saint-Polycarpe doit son nom à l’église face à laquelle elle fut ouverte. Au XVIème siècle, c’était un champ pentu de vignes. Puis une communauté religieuse, celle des Pères de l’Oratoire, investit le domaine vers 1616. La construction de l’église elle-même débuta vers 1665. Le sculpteur Perrache (père de l’ingénieur dont la gare porte le nom) en réalisa le maître-autel. L’architecte Loyer, élève de Soufflot, allongea la nef et dressa cette façade néo-classique qu'on découvre au fond de la rue, peu mise en valeur hélas, comme c'est souvent le cas à Lyon. Le fronton triangulaire est soutenu par quatre pilastres corinthiens et la magnifique porte est de style Louis XV. Très visibles sur cette façade, des éclats dans la pierre peuvent étonner le chaland : ils sont le triste souvenir des boulets de canons tirés des troupes de la Convention, lors du siège de Lyon en 1793.

    C’est Napoléon qui, en 1805, prit par décret l’initiative de bâtir l’autre bâtiment historique de cette rue, celui de la Condition des Soies, dressé dans l'ombre sur la droite de la photo . Le bâtiment est sorti de terre à partir de 1809, sur un terrain ayant appartenu à des capucins avant la Révolution. Son architecte, Joseph Gay, a particulièrement soigné sa façade en lui donnant l'allure d'un palais italien. Il devint opératoire à partir de 1804, alors que la fabrique de la soie commençait à sortir de la crise et que débutait ce qu'on appellera le siècle d'or de la fabrique avec une croissance annuelle, de 1815 à 1880, oscillant autour de 4%

    Conditionner la soie, c’est contrôler son degré d’humidité avant de la déclarer bonne pour la mise en vente. La soie est alors placée dans des caisses grillagées durant vingt quatre heures, dans des pièces à 18°. Durant tout le dix-neuvième siècle, la présence de ce bâtiment a fait de la rue Saint-Polycarpe le cœur du quartier de la soie. La crise des années trente et la seconde guerre mondiale a eu raison de cette activité et le bâtiment est ferma 1940. Depuis 1976, la Condition des Soies est devenue une bibliothèque de quartier.
    A l’angle de la rue Saint-Polycarpe, une impasse étroite du même nom s’enfonce entre de hautes façades. C’est là que se cache le cinéma Saint-Polycarpe, le seul cinéma survivant dans les pentes de la Croix-Rousse.
     

    Quant à Polycarpe, on peut le considérer comme le patron de l'église lyonnaise puisque ses deux fondateurs (tout d'abord Pothin, puis surtout Irénée), avaient été envoyés de Smyrne par lui. Polycarpe est un disciple immédiat de Saint-Jean. De nombreux textes anciens relatent cet épisode, ici mythique : Voici la traduction d'un extrait de la Passion d'Irénée (Anonyme, VIème siècle), contenant un éloge de Polycarpe :
    « Alors que le bienheureux Polycarpe vivait ainsi en ce monde, il apprit que le très cruel meurtrier Marc-Aurèle souhaitait effacer des provinces des Gaules le nom des chrétiens et que saint Pothin, évêque et martyr de l'Eglise de Lyon, avait été fait prisonnier avec les siens : tous ceux qui furent considérés comme chrétiens furent torturés dans divers supplices : par la palme d'un martyre triomphal, ils rendirent leurs précieuses âmes au ciel et le Christ reçut avec la blanche troupe des cieux ses saints dans le bonheur. Ils furent martyrisés le 2 juin. Saint Polycarpe fit partir de son entourage saint Irénée, rempli de foi, de grâce et d'Esprit Saint, élevé à l'honneur de la prêtrise : il l'envoya sous la conduite d'un ange vers la bienheureuse ville de Lyon pour réconforter de nouveau les chrétiens qui se cachaient en ce lieu depuis quelque temps, et pour rassembler, par sa prédication, dans le troupeau du Christ, la foule des gentils qui étaient dans les ténèbres. Saint Irénée part avec le diacre Zacharie et deux clercs pour compagnons et il entre dans la très noble ville de Lyon. Par ses vertus, par les prodiges, les miracles et les prédications que Dieu très grand faisait par son intermédiaire, la cité plaça sa foi très rapidement tout entière dans le Christ. »

  • Prunelle

     

    06-F19DAU008938.jpg  C’est une petite rue de quelques trente mètres, sur ce qu’on appelle ici « les pentes ». Elle débouche sur la place Rouville et l’une des plus belles vues de Lyon. Au cœur du quartier des tisseurs, par décision du conseil municipal en date du 9 mars 1843, elle honore un homme qui pourtant ne fut pas très tendre avec les canuts du XIXème. Gabriel Prunelle fut l’une des ces grandes figures médicales dont s’enorgueillit la bourgeoisie lyonnaise au XXème siècle. Né le 23 juin 1777, à la Tour du Pin, il partit étudier la médecin à Montpellier où il passa sa thèse en 1800 et se lia d’amitié avec le chimiste Jean-Antoine Chaptal. Il fut nommé bibliothécaire de l’école de médecine de cette ville et profita de ce poste pour effectuer maints détournements dans diverses bibliothèques publiques de France. Ces rapines indélicates eurent beau être dénoncées, il fut nommé professeur de Médecine Légale de la Faculté de Montpellier, lors de sa création en 1807.

    Il se maria à une riche lyonnaise, fille de soyeux, et s’établit en 1821 dans la capitale des Gaules, où il exerça la médecine quelques années avant de s’intéresser à la politique. Son engagement auprès des libéraux en fit un opposant à la Restauration et le cofondateur du journal le Précurseur. C’est lui qui présida le banquet de cinq cents couverts offert par des loges maçonniques au vieux général de la Fayette, le 6 septembre 1829. Il est connu pour avoir commis auprès de Mme de Chateaubriand qui l’avait consulté lors d’un de ses passages à Lyon une grossière erreur de diagnostic.

    Prunelle devint maire de la ville en 1830, tous les autres candidats s’étant récusés. Cette même année le vit élu député de l’Isère. Il mérita grâce à ce siège quelques mots de Stendhal qui le traita de « député vendu ». Durant son mandat de cinq ans, deux émeutes éclatèrent dans sa ville (1831 et 1834). Lors des événements de novembre 1831, le maire Prunelle brilla par son absence, dont il fit habilement un argument politique contre le préfet Bouvier Dumolard : lorsqu’il fallut rendre des comptes, il rédigea pour Casimir Perrier un rapport sévère sur la carence des autorités militaires et préfectorales. Nommé médecin inspecteur des eaux de Vichy en 1833, il brilla à nouveau par son absence durant les révoltes de 1834 et les mutuellistes lyonnais qui dénoncèrent sa « haine des travailleurs » et son « mépris du peuple », obtinrent sa démission le 8 mai 1835. Habilement, Prunelle finit sa carrière maire de Vichy.

    Il meurt le 20 août 1850, après une journée passée en compagnie d’Adolphe Thiers. A Vichy aussi, une rue lui fut consacrée, celle-là même où se trouve l’Hôtel du parc où résida Pétain.

    Lyon lui doit l’organisation de l’école La Martinière, fondée grâce à l’héritage du major Martin. Il fit aussi restaurer le Palais Saint-Pierre et ouvrir le quai de la Pêcherie. C’est enfin lui qui  ordonna les tous premiers essais d’éclairage au gaz dans quelques rues et obtint le partiel rétablissement des Facultés des sciences et des Lettres, lesquelles avaient été supprimées pendant la Restauration.

    Daumier, qui le caricatura sur la demande de Charles Philipon comme tous les notables du « juste milieu » l’avait surnommé monsieur Prune. Au musée d’Orsay, on peut admirer aujourd’hui son buste parmi les 36 réalisés entre 1832 et 1836 par le dessinateur du journal La Caricature.

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  • Pierre Scize

    « Parmi les vieux châteaux dont la France se dépouille à regret chaque années, il y en avait un, d’un aspect sombre et sauvage, sur la rive gauche de la Saône… » écrit Vigny dans Cinq-Mars.) « Du puissant château fort, pas même une ruine ! », récite de son côté un poète local méprisé : Comme l’ont chanté l’illustre Vigny ainsi que l’obscur Amédée Matagrin, lorsque le temps fut venu, l’immense forteresse du quai Pierre Scize, qui avait servi de prison durant des siècles et dont le nom venait de la pierre scize ( pierre fendue) sur l’ordre d’Agrippa, et qu’on pourrait nommer la Bastille lyonnaise, disparut corps et bien.

    Pierre Virès, qui dans son roman Les Gueux de Lyon raconte le siège du château par les gueux de Lyon, en 1588, le décrit brièvement : « Sur ce versant regardant Vaise, les obstacles naturels avaient toujours semblé assez infranchissable pour ne pas exiger de surveillance ; il n’en était pas de même du côté de la Saône. Là, un large fossé protégeait les abords, et une arche de pierre très étroite, fermée par une grille, donnait seule accès à un escalier de cent trente deux marches creusées dans le roc, véritable échelle de granit par laquelle on parvenait à ce nid d’aigle, appelée la forteresse de Pierre Scize. »

    Les quelques nuits que Cinq Mars et de Thou y passèrent, avant leur exécution en 1642 sur la place des Terreaux, sont rapportés en 1831 par Léon Boitel :

    « MM. De Cinq Mars et de Thou, conduits à la forteresse de Pierre-Scize, l’instruction de leur procès commença dès le lendemain. Le château de Pierre-Scize, autrefois siège du pouvoir sacerdotal, était devenu prison d’état sous Louis XI. De 5MarsPierre-Scize.jpgnoires murailles entourées de bosquets, des tours bizarrement dessinées formaient, avec la forteresse de l’autre côté de la rivière, une masse imposante de fortifications qui se reflétaient dans la Saône. C’est là que, durant huit jours, les prisonniers se préparèrent, par la prière, à une mort qu’ils attendaient avec résignation »

    Le 9 septembre 1791, le château fut pris par la foule. Dans les colonnes du Salut Public, Désiré Bigot publie en feuilleton en 1850 un roman, Le gone de Saint-Georges, qui retrace ces événements sanglants tout en romançant le déroulement :

    « De vagues rumeurs grondaient dans la ville depuis deux ou trois jours. On parlait de meurtres et d’assassinats, contre les prêtres surtout. Mais personne n’ajoutait foi à ces propos. Dans tous les coins, on était loin de penser que les égorgeurs oseraient se présenter contre le fort de Pierre Scize, dont l’entrée pouvait être facilement défendue. Les gardes nationaux n’avaient donc aucune inquiétude, lorsque dans l’après-dînée, à quatre heures environ, la sentinelle qui se promenait à la porte Basse signala l’approche d’une foule menaçante qui s’avançait par le quai Bourgneuf : presque en même temps, une autre bande paraissait dans le chemin de Montauban, venant prendre la forteresse en flanc, pendant que la troupe principale l’abordait de front. »

    Le texte est à peine romancé : la foule ne parvint à tuer ce jour-là à que huit des neuf prisonniers retenus alors dans la forteresse. Mais la violence que subirent ces malheureux fut extraordinaire : après les avoir sauvagement décapités, on porta leurs têtes au bout d’une pique par toute la ville, jusqu'à la scène du théâtre des Célestins.
    En 1793, l’ancienne résidence des archevêques, dernier vestige conséquent des burgondes à Lyon, fut entièrement démoli sur l’ordre de Couthon, en même temps que 161 maisons du quai Bourgneuf. Lyon perdit ce jour-là l’un de ses plus paysages les plus pittoresques, dont on ne peut plus admirer le romantique aspect que sur d'anciennes toiles ou gravure. Dans la réalité, seul demeure le roc qui donna son nom à ce quai, lequel abrite l'Homme de la Roche. Placée sous une grotte et encadrée de vigne-vierge, cette statue fut érigée  à  la mémoire de Jean Kléberger, « le bon Allemand »  (vers 1486- 1546). Ce fut d’abord une statue en bois coloriée, le représentant en héros romain.

     Né à Nuremberg, ce négociant  avait obtenu le droit de cité lyonnaise en 1536 après avoir sillonné le pays de foires en foires et spéculé pour son propre compte jusqu’à devenir l’un des banquiers officieux de François 1er qui menait alors ses guerres d’Italie. Il habita une maison à présent détruite au 93 rue des Farges ( des forges – ou ateliers) et fut l’un des premiers administrateurs de l’Aumône générale à laquelle il légua à sa mort pas moins de quatre mille livres. La tradition veut qu’il dotât les filles pauvres de ce quartier populaire de Bourgneuf.  Aucune fondation ne porte cependant son nom. Monsieur Josse, dans son livre « A travers Lyon » remet en doute cette belle légende, rappellant que « trop souvent, cette libéralité posthume n’a eu d’autre objet que d’expier des libéralités moins avouables et pratiquées en sens contraire, au cours d’une existence facile. »

    (1)  Monsieur Josse, A travers Lyon, 1887, p. 98

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  • Interlude

    Les rues de Lyon se vident en été. Il y fait poisseux. On y croise certes quelques touristes en shorts et casquettes à visières, un plan déplié à la main, suivant scrupuleusement ou non les recommandations du syndicat d’initiative. Où est passé Marcel Rivière ?  Au large, sans doute, sur une goélette, le chanceux retraité.

    Les rues de Lyon s’animeront à nouveau l’automne revenu. L’automne est la vraie saison du commerce des hommes. La bonne société, comme on disait du temps de son enfance, retrouve ses quartiers, et Marcel Rivière s’anime à nouveau. On reconnait son pas sur les trottoirs. La saison recommence. Quel bon moment, que la rentrée…

    En attendant que s’achève le lourd, le bleu, le vide été, demeure la trace de ses promenades, de ses lectures, d’un arrondissement à l’autre.

     

    A bientôt

     

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    Les promenades de la place Bellecour, 1907
  • Jean de Tournes

    Jusqu'en 1863, c'était la rue Raisin, en raison de l'enseigne d'une vieille imprimerie. Le fameux Jean de Tournes (1504, 1564), originaire de Noyon, et d'abord élève de Sébastien Gryphe, fonda au n°7 de cette rue une dynastie d'imprimeurs de renommée. Son atelier se trouvait alors « à l'enseigne des deux Vipères ». Sa devise était : « Quod tibi fieri non vis, alteri ne feceris » Jean de Tournes avait également une autre marque : un ange debout, avec cet anagramme de son nom : Son art en Dieu. Il y publia notamment les poésies de Louise Labé ainsi que les œuvres de son amie Pernette du Guillet. Il laissa en mourant une partie de sa fortune aux pauvres de Lyon. En 1585, son fils Jean II fuit la ville et alla s'installer à Genève, où Jean III prit sa succession. Ce n'est qu'en 1727 que les petits-fils de ce Jean III (Jean et Jean-Jacques) rouvrirent une imprimerie à Lyon. Le peintre Trimollet, plus tard habita rue Raisin.

     

     
    Il serait indécent de quitter la rue Jean de Tournes sans évoquer l'ombre de Marius Guillot dont le bistrot Au Mal Assis fut lui à seul une légende. Dans son Histoire des bistrots de Lyon, le journaliste disparu Bernard Frangin explique qu'une évidence s'impose : « Le premier bistrotier, ni dans le temps ni dans l'espace, mais dans le prestige, fut Marius Guillot, le débonnaire dictateur du Mal Assis de la rue Jean-de-Tournes, l'étoile polaire vineuse de ce milieu de siècle » (il parle du vingtième, bien entendu). Portant de grosses lunettes d'écailles, les manches toujours retroussées quand il n'était pas en polo, Marius régnait tel un Jupiter sur un Olympe de marbre : Frangin raconte qu'un jour, Yves Montand poussa la porte et demanda s'il pouvait manger. Il s'entendit répondre : « On ne sert que les amis ».

     L'endroit était le temple de la charcuterie chaude. Au mur figuraient des cadres de tous genres. Le plus original était sans doute une tranche de jambon millimétrique sous verre, que Me Floriot avait envoyé de Genève, tranche sous laquelle était écrit : « Tu es battu. J'en ai trouvé un qui coupe encore plus fin que toi! ». Tous les artistes aux Célestins en tournée passaient par le Mal Assis. Francis Blanche et Pierre Dac y répétèrent leur numéro de transmission burlesque, avant de l'enregistrer au Palais d'Hiver. En 1934, Marcel Grancher, l'écrivain lyonnais, écrivit un roman sur ce bistrot aussi surréaliste que fou où se retrouvèrent, de Jean Louis Barrault à Fernand Raynaud - adepte du Morgon de Marius, tous les artistes de passage. La rue Jean de Tournes y devient la rue de la Teinturerie, Marius, Pétrus. Etonnant roman. C'est dans ce roman que Grancher laisse tomber cette phrase prémonitoire : « D'ici cinquante ans, Lyon sera une ville dans le genre de Bruges... »

    La vitrine du Mal Assis était une immense volière où trônaient ce que le patron appelait « ses perchoirs à musique ». On vous servait à boire, assis sur des tonneaux posés sur la tranche (d'où le nom du lieu). Les notes de Marius étaient non détaillées et ne comportaient que deux lignes : une pour le liquide, une seconde pour le solide; tradition de la maison. Lorsqu'il vendit son local, sa serveuse devint cuisinière à Saint-Georges-de-Reneins. Marius s'y rendait souvent.

    « Un samedi soir, écrit Bernard Frangin,  rangea sa voiture sur le parking et en traversant la route, fut renversé par un chauffard qui tua ce jour-là une partie de l'âme du bistrot lyonnais. »

     

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    devise de Jean de Tournes, le fondateur.

    (trad : "Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui")