Vaise (grande rue)
La majeure partie du neuvième arrondissement de Lyon est constitué par l'ancienne ville de Vaise, qui ne fut réunie à Lyon qu'en 1852, en même temps que deux autres communes, la Croix-Rousse (quatrième arrondissement) et la Guillotière (septième).
On suppose que l'emplacement occupé par la commune fut longtemps un vaste étang qu'entouraient des terres incultes et couvertes de broussailles. De récentes découvertes archéologiques semblent attester une présence humaine sur ce territoire bien antérieure aux gallo-romains et aux gaulois. Lorsque les archevêques tenaient la ville, ils devaient s'y rendre de leur château proche (le château Pierre Scize) pour chasser le gibier et pêcher le menu poisson de Saône.
Vaise : cet étrange nom viendrait de vacua (d'où l'ancien nom de Vaques). On l'a aussi fait dériver de vézia ou vezola, sorte de tuyau ou de canal d'irrigation.
La grande rue de Vaise fut ouverte en 1776, lorsque se développèrent les rudiments d'une petite commune sur ce terrain à peine stabilisé. Elle demeura longtemps l'artère principale de ce faubourg peuple de mariniers et d’artisans. Plusieurs auberges, depuis plus longtemps installées, illustraient déjà la vocation de Vaise, à n'être qu'une commune de transit : quelques rois de France y déjeunèrent, (Charles VI, Henri IV, Louis XIV) notamment, avant de descendre la Saône en cortège jusqu'à Ainay). Napoléon, jeune officier, y logea.
Difficile d’évoquer Vaise sans s’arrêter quelques lignes en compagnie de la haute et belle figure de Marius Mermillon (1890-1958), critique d’art lettré et gastronome et négociant en vins. Dans ses souvenirs (Carrefour des Hasards, 1956), Gabriel Chevallier rappelle à quel point il demeura, malgré la réussite, « un pur Vaisois fidèle à Vaise ». « Flaubertiste raffiné », Marius Mermillon fut un défenseur de la peinture lyonnaise ; on lui doit d’avoir créé le groupe des Ziniars (1925), d’avoir collaboré à la revue Résonances, et publié plusieurs monographies d’artistes.
Autre célébrité vaisoise, l'écrivain Georges Champeaux qui, dans son roman publié en 1919, (Le roman d'un vieux Groléen), décrit comme pas un le charme singulier de Vaise. Je recopie la description triviale qu'il a offert de cette grande rue de Vaise et de ses habitants, à la Belle Epoque. Une soirée, qui ressemble à une autre; une belle soirée quelconque après une journée de travail, qui ressemblerait à des milliers de soirées quelconques après une journée de travail comme il dut s'en vivre dans Vaise la quelconque, des milliers et des milliers, des centaines de milliers et des centaines de milliers de fois, jusqu'à ce que le quelconque de ces décors d’auberges, d’entrepôts et de gare d’eau l'emporte, et tragiquement, tout submerge :
« Vaise s'anime seulement au soir tombant, comme monte et se perd dans le ciel impassible la plainte déchirante des sirènes. Usines et entrepôts vomissent à pleins portails de sombres multitudes. Les tramways déversent incessamment le trop-plein d'employés dont s'engorge le jour le centre ville. Les ménagères s'activent aux dernières emplettes. Heure moelleuse où la rue se fleurit de lumière. La flamme des réverbères se teinte et s'amollit dans l'humidité vespérale. Des tâches d'or bavent aux glaces des vitrines. Et devant les cafés, une poussière de clarté qui s'éparpille semble un tapis de sable ensoleillé. Toutes ces boutiques qui s'allument, ce sont autant d'yeux qui s'ouvrent pour offrir au passant la douceur d'un regard. Mais le passant n'y prend pas garde. La ménagère ne songe qu'au souper à préparer. Le compagnon ne sait que sa lassitude. Et les mêmes midinettes qui partaient le matin alertes et pimpantes ont dépouillé leur allégresse. Le renfrognement de leur mine trahit avec le dégoût du logis misérable où il va falloir s'enfermer, la nostalgie des rues du centre ville où l'éblouissement des grands magasins, les toilettes hardies des femmes, les affiches violentes des cinémas clament insolemment la joie de jouir.
La vie se charge de les attacher à ce quartier. Dans la désillusion brutale du mariage crouleront leurs rêves ingénus. Le souci du ménage les accaparera tout entières. A laver la vaisselle, éplucher les légumes, et tordre la serpillière, leurs mains auront tôt désappris les caresses des fanfreluches. Qui sait même si la négligence de la toilette n'ira pas jusqu'au goût pour le débraillé ? Alors le temps sera venu des tasses de café chez les voisines. Tout au long de l'après-midi, le chœur irrité des épouses retentira d'imprécations contre les mâles. Les langues poliront sans se lasser la masse informe où s'agglutineront les ragots des concierges, les confidences des coiffeuses et les révélations des femmes de ménage. Le charme de Vaise aura opéré. En vain la Saône nonchalante déploiera son grand geste de voluptueux abandon. Et toujours la douceur des crépuscules sera perdue. »