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  • Tables Claudiennes

    On doit à un drapier hôtelier du nom de Roland Gribaud la découverte, en 1528, des deux tables sur lesquelles avait été gravé le discours de l’empereur romain Claude, enfouies jusqu'alors dans un champ de vignes de la côte Saint Sébastien, sur les pentes de la Croix-Rousse. Roland Gribaud avait acheté le terrain au dénommé Claude Besson en 1524, et y entreprit la construction d'une maison. C'est en faisant miner le terrain de vignes qu'il trouva deux grandes tables d'airain ou de cuivre antiques et toutes écrites (1)

    Pressentant que les textes gravées sur ces belles antiquailles de cuivre ou d’airain pourraient servir « à connaître l’ancienne dignité de cette ville de Lyon », le magistrat Claude Bellièvre (1487-1557) les lui achèta donc au nom de la ville pour la somme de « cinquante huit écus soleil ». Sur ce même rapport Bellièvre note :

    « Ce sera grande consolation aux gens de la ville quand ils verront un certain témoignage de la dignité de leurs majeurs ce qui servira d’aiguillon à la vertu pour l’imitation desdits majeurs et sera davantage un grand honneur à toute la ville pour ce que quand les bons seigneurs et savants personnages par ci passant verront que la ville tient bon compte de l’antiquité qui est à vénérer, et des choses doctes, ces passants auront la présomption véhémente que cette ville est peuplée de gens de biens »

     

    Ci-dessous, le texte de la quittance de Roland Gribaud :

    Je Roland Gribaud, soubzsigné, confesse avoir receu de Monsieur le Trésorier de la ville Charles de La Bessée, cinquante huit escuz d'or soleil vallans CXVIII XVI pour les deux tables métail anticques que j'ai vendues à Messieurs les Conseillers de la dite ville mentionnées au présent mandement et prometz que si je puis retrouver en tout ou partie les pièces que par rupture sont distraictes des dites tables, je les délivreray à mes dits sieurs et que payant seullement la valleur du matail à l'extime commune. Et d'avantaige que s'ils veullent faire sercher les dits restes au font où ont esté trouvées les dites tables, que le pourront faire à leurs despens en me dédommaigeant raisonnablement si aucun dommage il m'estoit fait au moyen de la dite serche.

    Fait le XIII mars MVC vingt huit .

    Exposées jusqu’en 1611 dans le premier Hôtel de Ville de Lyon (la maison Charny, dont l’entrée principale se trouvait rue Longue), les Tables suivirent le Consulat lorsqu’il emménagea dans la maison de la Couronne, rue de la Poulaillerie, où il leur fit édifier, pour les abriter, un monument dans la cour. En 1657, elles rejoignirent l’actuel Hôtel de Ville commencé par Simon Maupin, place des Terreaux. Elles y demeurèrent jusqu’en 1814, époque où elles furent transférées au Palais des Beaux-arts. Elles forment aujourd'hui l'une des pièces maîtresses du musée gallo-romain à Fourvière.

     

    Leur premier traducteur fut, en 1537, le médecin-érudit Symphorien Champier (1472-1539 ?).

    C’est enfin Guillaume Paradin, l’auteur des Mémoires de l’histoire de Lyon (1573) qui, le premier, mit en lumière le fait que Lugdunum, l’antique capitale des Gaules, possédait, d'après le texte gravé, tous les droits attachés au titre de colonie romaine.

    L’odyssée de ces tables découvertes par hasard dans un champ de vignes et devenues tables de la cité au fil des nombreux déménagements de son élite d’un hôtel de ville à l’autre, et qui ne contiennent qu’un discours de l’empereur Claude, natif de Lugdunum, au sénat romain en faveur des députés de la Gaule Chevelue, témoigne en filigrane d’une revendication permanente de grandeur de la part de la ville, au nom d’une origine célébrée par le mythe de sa fondation. Dans son Histoire du Moyen-âge, Michelet, fort enthousiaste envers Claude, reprend avec lyrisme cette lecture partiale et partisane :

    « Si Claude eût vécu, il eût donné le droit de Cité à tout l’Occident, aux Grecs, aux Espagnols, aux Bretons et aux Gaulois. Le discours qu’il prononça en cette occasion, et que l’on conserve encore à Lyon sur des tables de bronze, est le premier monument authentique de notre histoire nationale, le titre de notre admission dans cette grande initiative du monde »

     

    . La formule a fait rêver, depuis, bien des enfants : « Il faut, disait le texte de la Table, il faut sauver la Gaule Chevelue... »

    Et c'est donc cette découverte que commémore l'appellation de Tables Claudiennes, conférée depuis à l'une des rues construite sur les terrasses de l'ancien Sanctuaire d'Auguste.

     

    (1) Délibération consulaire reltive à l'acquisition de la Table de Claude par la Ville (nov. 1548)

     

     

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  • Jean de Tournes

    Jusqu'en 1863, c'était la rue Raisin, en raison de l'enseigne d'une vieille imprimerie. Le fameux Jean de Tournes (1504, 1564), originaire de Noyon, et d'abord élève de Sébastien Gryphe, fonda au n°7 de cette rue une dynastie d'imprimeurs de renommée. Son atelier se trouvait alors « à l'enseigne des deux Vipères ». Sa devise était : « Quod tibi fieri non vis, alteri ne feceris » Jean de Tournes avait également une autre marque : un ange debout, avec cet anagramme de son nom : Son art en Dieu. Il y publia notamment les poésies de Louise Labé ainsi que les œuvres de son amie Pernette du Guillet. Il laissa en mourant une partie de sa fortune aux pauvres de Lyon. En 1585, son fils Jean II fuit la ville et alla s'installer à Genève, où Jean III prit sa succession. Ce n'est qu'en 1727 que les petits-fils de ce Jean III (Jean et Jean-Jacques) rouvrirent une imprimerie à Lyon. Le peintre Trimollet, plus tard habita rue Raisin.

     

     
    Il serait indécent de quitter la rue Jean de Tournes sans évoquer l'ombre de Marius Guillot dont le bistrot Au Mal Assis fut lui à seul une légende. Dans son Histoire des bistrots de Lyon, le journaliste disparu Bernard Frangin explique qu'une évidence s'impose : « Le premier bistrotier, ni dans le temps ni dans l'espace, mais dans le prestige, fut Marius Guillot, le débonnaire dictateur du Mal Assis de la rue Jean-de-Tournes, l'étoile polaire vineuse de ce milieu de siècle » (il parle du vingtième, bien entendu). Portant de grosses lunettes d'écailles, les manches toujours retroussées quand il n'était pas en polo, Marius régnait tel un Jupiter sur un Olympe de marbre : Frangin raconte qu'un jour, Yves Montand poussa la porte et demanda s'il pouvait manger. Il s'entendit répondre : « On ne sert que les amis ».

     L'endroit était le temple de la charcuterie chaude. Au mur figuraient des cadres de tous genres. Le plus original était sans doute une tranche de jambon millimétrique sous verre, que Me Floriot avait envoyé de Genève, tranche sous laquelle était écrit : « Tu es battu. J'en ai trouvé un qui coupe encore plus fin que toi! ». Tous les artistes aux Célestins en tournée passaient par le Mal Assis. Francis Blanche et Pierre Dac y répétèrent leur numéro de transmission burlesque, avant de l'enregistrer au Palais d'Hiver. En 1934, Marcel Grancher, l'écrivain lyonnais, écrivit un roman sur ce bistrot aussi surréaliste que fou où se retrouvèrent, de Jean Louis Barrault à Fernand Raynaud - adepte du Morgon de Marius, tous les artistes de passage. La rue Jean de Tournes y devient la rue de la Teinturerie, Marius, Pétrus. Etonnant roman. C'est dans ce roman que Grancher laisse tomber cette phrase prémonitoire : « D'ici cinquante ans, Lyon sera une ville dans le genre de Bruges... »

    La vitrine du Mal Assis était une immense volière où trônaient ce que le patron appelait « ses perchoirs à musique ». On vous servait à boire, assis sur des tonneaux posés sur la tranche (d'où le nom du lieu). Les notes de Marius étaient non détaillées et ne comportaient que deux lignes : une pour le liquide, une seconde pour le solide; tradition de la maison. Lorsqu'il vendit son local, sa serveuse devint cuisinière à Saint-Georges-de-Reneins. Marius s'y rendait souvent.

    « Un samedi soir, écrit Bernard Frangin,  rangea sa voiture sur le parking et en traversant la route, fut renversé par un chauffard qui tua ce jour-là une partie de l'âme du bistrot lyonnais. »

     

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    devise de Jean de Tournes, le fondateur.

    (trad : "Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui")

  • Commandant Arnaud

    Autour de la figure de ce commandant, il y a eu à la Croix-Rousse une sorte de légende durant la première partie du vingtième siècle. Cela nous ramène à l'année 1870 et à la bataille de Nuits (voir ce billet) Le 19 décembre 1870, au lendemain de la défaite militaire, la rumeur s'était répandue que les légions de volontaires du Rhône avaient été décimées sous le regard de la troupe qui n'avait bougé pour les défendre. Devant une foule en ébullition où les femmes, mères, veuves et sœurs des morts à Nuits ne sont pas les moins excitées, on crie à la trahison et des meneurs affiliés à l'Internationale tentent de récupérer la colère pour créer un mouvement insurrectionnel visant à chasser le préfet Challemel Lacour (voir ce billet), le conseil municipal, et installer la Commune à l'Hôtel-de-Ville. C'est dans la salle Valentino, au n° 8 de la place de la Croix-Rousse que, dans une atmosphère d'orage, s'enchainaient les discours.

    On somma le commandant du 12ème bataillon de la Garde nationale, un chef d'atelier du nom d'Antoine Arnaud, connu par la police impériale pour son républicanisme, libre penseur et franc-maçon, de se placer à la tête des émeutiers et de les diriger vers l'Hôtel-de-Ville. Arnaud refusa, tenta de s'enfuir par la rue du Mail où il fut saisi par les émeutiers, traîné dans la salle Valentino et condamné à mort par une assemblée surchauffée après un simulacre de jugement. On le conduisit au Clos-Jouve, escorté de femmes qui portaient des drapeaux rouges et noirs et on le fusilla. Jetant son képi en l'air, il commanda lui-même le feu, rapportèrent des témoins, en criant Vive la République.
    Grâce à sa Résistance, les bataillons du entre Ville purent réprimer les projets des émeutiers. Le Conseil Municipal de Lyon, "considérant que le commandant Arnaud, du 12ème bataillon, avait été lâchement assassiné en cherchant à maintenir l'ordre public menacé" décida d'adopter ses trois enfants au nom de la ville, et d'attribuer une pension viagère à sa veuve.

    «Les funérailles seraient faites au frais de la commune et un emplacement de terrain cédé gratuitement et à perpétuité. Le 22 décembre, raconte Kleinclausz dans son Histoire de Lyon, le cercueil du commandant Arnaud, recouvert des insignes compagnonniques et maçonniques, fut conduit au cimetière de la Croix-Rousse par une foule énorme en tête de laquelle marchaient le maire Hénon, le préfet Challemel Lacour et Gambetta, de passage Lyon. Le Conseil de guerre prononça quatre condamnations à mort parmi les tribuns de la salle Valentino : seul le dénommé Deloche fut passé par les armes, les autres étant en fuite. On admit qu'Arnaud avait été victime d'une vengeance des internationalistes. D'autres contemporains évoquèrent une confusion possible avec un homonyme. »

    La place fut réaménagée sous la forme qu'on lui connait, avec la longue école primaire, au début du vingtième siècle. Lorsque le tramway électrique relia Perrache à la Croix-Rousse par les pentes abruptes du cours des Chartreux, on créa une ligne 13 qui, reliant Perrache à la place du commandant Arnaud, devint vite célèbre pour ses torpilleurs, surnom donné à ses motrices. Sur la photo, une voiture de la ligne 13 Perrache-Commandant Arnaud.

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