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place de l'abbé pierre

  • Abbé Pierre

    La place de l'abbé Pierre (Lyon 9ème) n'est pour l'instant qu'un vaste terrain vague, à l'occasion un joli champ de boue. Elle existe pourtant depuis le 24 mai 20007, par une décision du Conseil Municipal de Lyon qui prit la décision d'attribuer à la future place centrale du quartier en construction sur le Plateau de la Duchère, face au lycée La Martinière, le nom d'Henri Groues, (1912-2007), qui venait de mourir. Devraient se trouver sur cette place quelques logements sociaux, un centre commercial, une médiathèque. A son emplacement auparavant se trouvait l'une des barres de la Duchère dont la démolition a été largement médiatisée.

    On connait les étapes les plus marquantes de l'existence de ce fils de négociant en soie de la bonne bourgeoisie lyonnaise : Ordonné prêtre en 38, il a pris le nom d'abbé Pierre durant la Résistance, à laquelle il prend part dans les maquis du Vercors et de la Chartreuse. « Mes amis ! Au secours ! Une femme vient de geler cette nuit, à 3 heures, sur le trottoir du boulevard de Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel on l’avait expulsée, avant-hier. Chaque nuit, ils sont plus de deux mille, recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu... »

    L'hiver 54, la croisade pour les sans-logis, les compagnons d'Emmaus, l'appel radiophonique à Radio-Luxembourg, tout cela constitue la première légende que le Roland Barthes, des Mythologies (1957) immortalise en une célèbre abbe_pierre2.jpgphrase : « Le mythe de l'abbé Pierre dispose d'un atout précieux : la tête de l'abbé. C'est une belle tête, qui présente clairement tous les signes de l'apostolat : le regard bon, la coupe franciscaine, la barbe missionnaire, tout cela complété par la canadienne du prêtre-ouvrier et la canne du pèlerin. Ainsi sont réunis les chiffres de la légende et ceux de la modernité. »

    Grâce à Roland Barthes, l'abbé devient, et bien avant Coluche ou Zidane, entre la DS et Brigitte Bardot, un symbole vivant des temps présents.

    La popularité de l'abbé renait dans les années quatre-vingts, lorsque son combat contre la misère se trouve réactualisé par ceux qu'on appelle dorénavant les sans-domicile-fixe. Le désengagement de l'Etat, aussi bien sous un gouvernement de gauche que de droite, face à l'installation conjointe de la crise, des formes de la nouvelles pauvreté, et du neo libéralisme mondialisant confère à cette figure moderne et solitaire une sorte d'aura, seule capable de terrasser dans des medias fortement idéologisés celle du tennisman ou du footballeur à l'heure de la coupe de monde de 1998. Cette starification irrationnelle, reconnaissons à Henri Groues le mérite d'avoir su l'utiliser pour la bonne cause sans en jouer à des fins personnelles. L'histoire dira si c'est suffisant pour en faire un saint.

    Cela dit, on peut penser, comme Barthes d'ailleurs le disait dès 1957, qu'une telle légende est le symptôme d'une maladie épouvantable de notre monde :

    « Je m'inquiète d'une société qui consomme si avidement l'affiche de la charité, qu'elle en oublie de s'interroger sur ses conséquences, ses emplois et ses limites. J'en viens alors à me demander si la belle et touchante iconographie de l'abbé Pierre n'est pas l'alibi dont une bonne partie de la nation s'autorise, une fois de plus, pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice ».

    L'Abbé Pierre figure sur la fresque des Lyonnais située non loin du quai Sant-Vincent, en compagnie de Paul Bocuse et de Frédéric Dard.