Marius Berliet
L’inflexible : Surnom de Marius Berliet (1866- 1949 ), dont la légende dit qu’il ne s’est jamais plié, ni devant des volontés gouvernementales, ni devant des volontés syndicales.
A l’enterrement de son père, le 30 août 1899, sa mère aurait murmuré, en se blottissant contre son épaule : « Marius sera le Napoléon de la famille.» De fait, de Berliet et Bellet, la modeste entreprise familiale qui fabriquait du satin et du tissu pour doublure de chapeaux, il est passé à l'entreprise Berliet tout court, qui fabriqua des camions. En 1893, Marius entre dans l'histoire des pionniers de l'automobile, en élaborant seul son premier modèle de voiture à pétrole, la Berliet 1. Un peu plus tard, il réalise avec son deuxième modèle un aller retour Lyon-Villefranche à quarante à l’heure. Dans le petit paradis pour piétons qu’est alors la ville, il deviendra l’un de ces cent quarante entrepreneurs tentant sa chance, au sein d’un marché encore très peu réglementé. L'époque des francs tireurs industriels !
Au 56 de la rue Sully, laissant à son frère Benoît les destinées de la fabrique de satin paternelle, Marius s’installe dans un atelier rudimentaire qu’il transportera quelques années plus tard au 12 rue des Quatre-Maisons à Monplaisir. Dix mille mètres carrés, deux cents cinquante ouvriers, employés et cadres : l’empire Berliet se développe à un rythme qu'on dirait merveilleux, en ces temps de l’âge d’or automobile.
En 1906, lorsque le premier camion apparaît, les succursales vont désormais se multiplier : Paris, Marseille, Nice, Nancy, Lille, Alger, Lisbonne… La plaisanterie qui court alors est celle-ci : Berliet fabrique-t-il des usines pour construire des camions, ou des camions pour construire des usines ? De 1910 à 1915, obsédé par le modèle du gigantisme américain, il conçoit lui-même l’ensemble des plans du site de Vénissieux, une expérience véritablement fantastique pour l'poque : le modèle de l'usine intégrale, regroupant fonderies, aciéries, forges, ateliers d’emboutissage, d’usinage et de montage, 30% plus vaste que l’usine Ford à Détroit ! Une voiture, la VB., un camion, le CBA, qui roulera sur la voie sacrée de Verdun et deviendra « le camion de la victoire ».
Cet âge d’or de l’automobile, qui prend fin durant l’entre deux guerres, a suffi pour faire de Marius Berliet, à l’instar de ses concurrents de Billancourt et de la rue de Javel, un phénix de l’Industrie, capable de renaître de toutes ses cendres, une légende vivante du vingtième siècle.
Lorsqu'en 1930 la fabrique de soie s'écroule définitivement, la ville est au bord de la faillite, un peu comme le Nord le fut dans les années quatre-vingts. Les usines Berliet assurent la reconversion progressive d'une grande partie du prolétariat, frappé par la crise ; métallurgie, pétrochimie, automobile : c'est entre autres grâce à Marius Berliet et son industrie que l'économie locale ne s'est pas effondrée. A la veille de la seconde guerre mondiale, il produit onze modèles de camions pour une seule voiture, la dauphine 11 CV. Réquisitionnée en 1939, l’usine de Vénissieux est bombardée le 2 mai 44. Mais son amitié pour le Maréchal le rend suspect à la Libération.
Comme Louis Renault et d’autres industriels, il est arrêté le 4 septembre 1944, puis incarcéré à la prison Saint-Joseph, dépossédé de ses usines et de ses biens. Il meurt le 17 mai 1949, quelques jours avant leur restitution par le Conseil d’Etat, le 22 juillet 1949. Aujourd’hui, la marque Berliet n’existe plus et a été absorbée par RVI (Renault véhicules industriels). Pour célébrer la mémoire de ce grand capitaine d'industrie qui a marqué de son empreinte les familles lyonnaises (qui n'a pas dans la sienne un ou deux parents, proche ou lointain, ayant travaillé pour Berliet où l'un de ses sous-traitants ?) ainsi que les routes de France et de Navarre où ses engins s'illustrèrent durant plus de soixante-dix ans, une rue de Monplaisir rappelle son existence, dans le huitième arrondissement.