Victor Augagneur (quai)
« Sans distinction, il tient du boucher de barrière avec des allures de toucheur de bœuf ». Le compliment est adressé au maire de Lyon Victor Augagneur, par le journal satirique Guignol, en 1890. Il n’est alors que conseiller municipal.
Jean-Victor Augagneur (1855-1931) fait partie de cette espèce de bourgeois catholiques, espèce assez répandue à la fin du dix-neuvième siècle, qui va chercher auprès du peuple et du socialisme de quoi faire une jolie carrière. Après un séjour au séminaire de Sémur-en-Brionnais, il devient donc fort logiquement anticlérical et franc-maçon, ce qui ouvre à son ambition les premières portes, celles qui sont toujours les plus difficiles à forcer. Interne des hôpitaux de Lyon en 1875 puis chef de clinique en 1881 à l’Hôtel-Dieu (il a alors 26 ans), après sa thèse remarquée sur « La syphilis héréditaire tardive », il devient chirurgien-major à l’Antiquaille et réussit l’agrégation de médecine en 1886.
La carrière politique d’Augagneur, à l’image du personnage, fut un modèle de louvoiement. D’abord adjoint puis colistier du maire radical Gailleton, il devient peu à peu son challenger et son rival en virant de plus en plus à gauche et finit au parti socialiste. Patient et déterminé pendant douze ans (trois élections) il finit par emporter la mairie et s’installer dans le fauteuil tant convoité en 1900, en jouant, comme d’autres le feront par la suite, la carte du socialisme. Sans doute ferait-il rigoler beaucoup de gens à l’heure actuelle, mais à l’époque, le beau verbe trompait encore son monde. Sous son mandat, Villeurbanne faillit être réunie à Lyon, ce qui n’aurait peut-être pas été plus mal à y regarder de près. Son autoritarisme lui valut des surnoms comme "Victor-le-Glorieux", "Victor Ier", "l'Empereur" ou "César". En 1905, une année après sa réélection, cet homme ambitieux et imprévisible quitta la tête de la mairie de Lyon pour un poste de gouverneur à Madagascar. C’est ainsi qu’un autre agrégé, de lettres cette fois-ci, Edouard Herriot devint maire par procuration. Ce dernier ne lui laissa jamais, à son retour, le loisir de reconquérir son siège, auquel on sait qu’il s’accrocha (l'expérience de son prédécesseur ?) durant un demi-siècle.
Le rêve de Victor (Victor imperator)
Le socialisme mène à tout ! ... même à Madagascar
Ce personnage dont ses contemporains dénoncèrent l'orgueil démesuré, et qui portait dans son nom la victoire et la gagne fut-il victime de l'onomastique ? Premier gouverneur général civil à Madagascar, succédant au général Gallieni, de 1905 à 1910, le gouverneur Augagneur essaya de rémedier à ce qu'il y avait de trop rigide dans la situation consécutive à la conquête: il supprima les derniers cercles militaires qui commettaient des abus regrettables, ainsi que les offices du travail fournissant de la main d'œuvre gratuite... Les faits marquants sous son administration furent le début de la production de vanille dans la région d'Antalaha, la découverte du gisement de charbon de la Sakoa, l'équipement en phares des côtes de Madagascar, la suppression de toute subvention à l'enseignement privé, le début de l'enseignement secondaire public, un décret organique créant la justice indigène à Madagascar, et surtout l'accession des Malgaches aux droits de citoyens français (décret du 3 mars 1909).
A son retour en France, Augagneur devint député du Rhône (1910), ministre des Travaux Publics (1911), des Postes (1914) puis de la Marine. L’après-guerre l’éclipsa de la vie politique. Il redevint député en 1928 et il mourut le 23 avril 1931dans une maison de santé, la Clinique Saint-Rémy, du docteur Besançon, 46, boulevard Carnot au Vésinet. Le Progrès de Lyon ne lui consacra qu’une modeste colonne à la Une, annonçant sa disparition, et la municipalité donna son nom à un quai du Rhône sur la rive gauche, dans le quartier Lafayette-Préfecture.