Edouard Aynard
Avec Edouard Aynard, nous touchons au modèle de ce qu’on appelle entre Rhône et Saône avec une sorte de respect toujours ambigu « les grandes dynasties lyonnaises ». Edouard Aynard (1837-1913) est indiscutablement un héritier, fils ainé d’un fabricant de draps de la rue Buisson qui possédait une manufacture à Montluel et qui était également devenu banquier au 19 rue Impériale. Il entre donc à vingt-neuf ans dans comme associé dans la firme familiale, après avoir fait des études de commerce internationale qui, entre autres, lui permettent de séjourner en Angleterre (« la grande école de la liberté », disait-il !), et un stage chez un tisseur et un agent de change. En 1862, il épouse Rose de Montgolfier (1845-1910), petite-fille de Marc Seguin, fort richement dotée, dont il aura douze enfants. Il rachète en 1906 l’ancienne abbaye de Fontenay, dont il fait la demeure familiale.
La banque Aynard, imitant en cela les banques de Turin ou le Crédit Lyonnais, implante des succursales hors-Lyon (Londres en 1872, au 39 Lombard Street), participe activement aux aménagements urbains du Second Empire et soutient bon nombre d’entreprises lyonnaises avec ce qu’il faut d’actions pour en devenir administrateur et parfois président. Dans son Journal, Auguste Isaac raconte une querelle dont il fut le témoin, entre Edouard Aynard et Jean Tisseur (1814-1883) propos du rapprochement fameux entre le dieu du commerce et le dieu des voleurs. La querelle avait failli tourner au drame, Aynard ayant perdu son sang-froid sous le feu de son éloquence. Sa notoriété d’habile banquier lui vaut en 1890 la présidence de la Chambre de Commerce et la rosette d’officier de la Légion d’Honneur, puis l’année suivante le prestigieux siège de régent de la Banque de France : « Il est banquier et homme d’esprit homme de doctrines et homme d’expérience, esprit pratique autant qu’artiste » écrit de lui un journaliste de la Revue politique et parlementaire.
Belle formule pour définir au fond un homme du monde, rusé et consensuel. On le retrouve directeur (1866) de la Caisse d’Epargne du Rhône, administrateur de la Société des Amis et des Arts (1868), du Dispensaire et des Hospices Civils (1871) de la Société d’Enseignement Professionnel du Rhône (1872) ; il est membre fondateur de la Société de géographie de Lyon (1873), de la Société d’Economie politique (1876), créateur également de sociétés de logements économiques en faveur du logement social. Il participe à la création du Musée des Tissus et, en avril 1871, se retrouve également administrateur du Journal de Lyon. Bref, où ne siège-t-il pas ? Que ne fait-il pas ? Un tel parcours ne pouvait que s’achever dans la députation, ce fut chose faite en 1889, dans la huitième circonscription du département du Rhône.
Edouard Aynard est mort subitement en juin 1913 au Palais Bourbon, alors qu’il se préparait à intervenir dans la discussion d’un projet de loi sur l’école laïque. On l'a enterré à Ecully et un buste de lui, sculpté par Larrivé, fut érigé en 1919 et se trouve encore devant le Palais du Commerce. A sa mort, ses collections d’art furent estimées à 3 millions de francs (30% de sa fortune) ; elles comptaient entre autres 86 tableaux, dessins et pastels, 68 céramiques, 49 sculptures, 26 bois sculptés, 22 bronzes, parmi autres ivoires, pièces et bibelots précieux, le tout dispersé dans une vente aux enchères dès la fin de 1913. Ce grand banquier, prodigieux homme d’affaires et capitaine d’industries, fin politique, accessoirement humaniste et opportunément bienfaiteur public ne dispose, pour sa mémoire, que d’une ancienne impasse, laquelle relie le troisième arrondissement de Lyon à Villeurbanne, entre la rue Saint-Eusèbe et la rue de l’Espérance.
Sa boulimie d’honneurs et de responsabilités puisse-t-elle, où qu’il se trouve dorénavant, apprendre à s’en contenter !