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montchat

  • Richard-Vitton

    On méconnait trop l’importance du tiret. Etudier le nom des rues est une science qui n’intéresse pas seulement l’histoire (locale ou autre), n’attire pas seulement notre attention sur les nombreuses matières qui, au hasard des appellations, se rappellent hasardeusement à notre infinie ignorance ( musique, peinture, sociologie, littérature, sciences politiques, religion, géographie, médecine…) mais également nous remet en mémoire les bienfaits de la ponctuation. J’en veux pour preuve celui-ci, Richard-Vitton, que porte une rue calme du quartier de Montchat dans le troisième arrondissement lyonnais.

    J’ai longtemps cru que Richard Vitton était un gars sans histoire, député ou maire, comme tant d’autres. Guère d’originalité là-dedans, je vous l’accorde. Et je ne m’étais jamais interrogé plus que ça sur l’existence simultanée à Lyon d’un cours Vitton et d’un cours Richard-Vitton. Quand j’ai découvert, stupéfait, l’existence de ce petit tiret, signe (arbitraire et pourtant nécessaire, comme aurait dit toute la clique des Saussure, Benveniste et autres) du nom composé.

    Jean Louis François RICHARD (1803-1874) est le fils de Charles François RICHARD (1772-1851), soldat sous la Révolution qui s’établit à Saint-Chamond où il fit fortune honnête en montant une entreprise de lacets. En épousant la fille d’Henri VITTON (1793-1834), l’ancien maire de la Guillotière, une dénommée Louis Françoise, le fils de l’entrepreneur en lacets  devint donc ce fameux Jean Louis François RICHARD-VITTON, a qui le cours de Montchat fut dédié ; En lotissant son domaine, la famille-dynastie des Vitton, laquelle possédait une bonne partie du quartier autour des dix-sept hectares de son château, dota en effet douze kilomètres de voies publiques à la ville. La contrepartie, c’était que chaque rue devait porter le prénom d’un de ses enfants (Julie, Julien, Louise, Antoinette…) au fur et à mesure quelle cédait ses terrains pour faire du logement social. Devenu maire du troisième arrondissement après l’annexion de la Guillotière à la ville, Jean Louis François RICHARD-VITTON céda ainsi – c’est ce que raconte la petite histoire – la voirie de Montchat au préfet Vaisse, à condition que la municipalité s’engageât à conserver la mémoire de ses chères têtes blondes (1) en ne changeant plus les noms des rues de ce quartier. En retour,  Richard-Vitton offrit le doux nom de l’impératrice ’Eugénie à l’une des voies du lotissement.

     

    (1)  Ou brunes : le story board ne le précise pas.

  • Vitton

    Autrefois, tout le quartier de la rive gauche appartenait à la commune de la Guillotière. Celle-ci avait été réunie une première fois à Lyon en 1793. Occupée par les armées de la Convention, elle recouvra son indépendance le 12 août 1793 et fut incorporée au département de l'Isère (district de Vienne-la-Patriote). La Guillotière a été annexée entièrement à Lyon en 1852, tandis qu'étaient rattachées au département du Rhône les communes de Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, Bron et Saint-Fons. Cette même année 1852, Lyon fut divisée en arrondissement. La Guillotière formait le 3ème arrondissement. Par la suite, d'autres arrondissements furent créés, ce qui donna naissance au 6ème (1867), au 7ème (1912) et au 8ème (1959). La population de la rive gauche a considérablement augmentée durant le XIXème siècle, passant de 6000 habitants (1802) à 35 000 (1850) et 150 000 vers 1900. C'est à l'ingénieur Morand qu'on doit l'idée d'urbaniser cette rive gauche du Rhône. C'est pourquoi le pont qui permet le franchissement du fleuve face à la place Tolozan porte aujourd'hui encore son nom. Du temps de l'enfance de Puitspelu (cf Les Oisivetés du sieur Puistpelu, ch. "Les Montagnes"), les Lyonnais appelaient ce qui est aujourd'hui le cours Vitton "La Grande Allée". Cette grande Allée est devenue ensuite le cours Morand, puis le cours Vitton.


    Ecoutons Puitspelu lui-même, qui écrivit les lignes que voici en 1889 : "Nous allons prendre la Grande Allée, qu'on nomme aujourd'hui cours Morand. Cette grande Allée était creuse dans le milieu, où l'on avait laissé subsister le sol naturel. A droite et à gauche, des chaussées, auxquelles on accédait par des talus gazonnés. Les arbres étaient placés à l'inverse d'aujourd'hui, c'est-à-dire qu'ils étaient dans le milieu, dans la partie creuse. Beaucoup plus drus que les "ch'tis" platanes d'à présent, pour autant qu'il se trempaient les pieds dans l'humus frais, au lieu que ceux d'aujourd'hui les baignent dans les cailloux du Rhône qui ont servi de remblais. Cette grande Allée était tellement la promenade favorite des Lyonnais que, le dimanche, on disposait de chaque côté un triple rang de chaises qui, à certains jours de fêtes, étaient toutes occupées pour voir le défilé des promeneurs et des équipages. Dans la Grande Allée, bien entendu, aucune maison, mais de nombreux établissements de plaisir. D'abord, à droite, en allant à l'Orient, le petit Tivoli, où depuis un certain nombre d'années, Mourguet avait son théâtre Guignol (...). Après Mourguet, occupant l'espace entre l'avenue de Saxe et la rue Vendôme, se trouvait le café du Grand Orient, nom venu sans doute de la loge maçonnique de Cagliostro. A gauche, un cirque qui fut construit en 1818 par l'écuyer Désorme. Il fut incendié plus tard. Puis le Jardin Chinois , montagnes lilliputiennes basses (...) Après cela, il y avait dans la Grande Allée en se dirigeant vers les Charpennes nombre d'autres établissements, le jardin Montansier, des Vauxhalls, comme c'était alors la mode d'appeler les salles de danse, des tirs au pistolet. Ceux-ci dsparurent les derniers et il me souvient d'un être encore allé souvent tirer en 1850."

    Cette description de la Grande Allée, avant qu'elle ne devînt un cours urbanisé et prît les noms successifs de Morand et de Vitton, fort pittoresque (comme tout ce qu'a écrit le bon Nizier du Puitspelu) nous a occupés un bon moment. Elle évoque un espace bien différent de l'actuel cours, bordé d'immeubles bourgeois et de commerces luxueux. Je dirai simplement, pour le rapport avec le début de ce billet, que Henri Vitton, né en 1793, était maire de la Guillotière et que c'est lui qui, bien après la mort de Morand sous la guillotine (voir le billet sur la place Lyautey) et bien avant l'annexion transforma la "Grande Allée" en un cours qui prit son nom lorsqu'il mourut en duel en 1834. Les Vitton étaient une véritable dynastie, dont on a déjà parlé à propos de la rue Ferdinand Buisson, et que commémore également, dans le troisième arrondissement, le cours Richard-Vitton (Richard étant le nom du gendre et Vitton celui du beau-père)


    Sur le blog « certains jours »une photo des platanes, à l'entrée de la place Lyautey et du cours Vitton. Là se cache une forêt, connu des seuls poètes et de quelques génies. Mais chut ! Là, nous touchons à la légende.

     

  • Ferdinand Buisson

    Ferdinand Buisson (1841-1932), professeur à la Sorbonne et prix Nobel de la Paix (1927) hérita de cette rue précédemment nommé Besson, du nom de la famille qui acheta la seigneurie de Montchat en 1689. En deux mots,  Ferdinand Buisson, « étant né à Paris et n'ayant jamais séjourné à Lyon », comme le disent fort joliment les dictionnaires de rues, « il ne concerne pas l'histoire locale ».

    Membre du parti radical, il fut l'un des fondateurs auprès de Jules Ferry de cette école républicaine qui éveilla tant de passions dans un sens comme dans un autre, et qui aujourd'hui bat de l'aile sur la mer, la mer toujours recommencée des réformes. Ferdinand Buisson fut en effet l'un des chantres de cette école publique, laïque, autoritaire, qui façonna l'esprit de plusieurs générations de petits français.

    En 1927, il fut le sixième français à recevoir un prix Nobel de la paix, pour avoir contribué à la fondation de la Ligue des Droits de l'Homme.

    Pourtant, malgré ce palmarès éloquent, Ferdinand Buisson (voir plus bas sa photo) n'intéresse pas l'histoire locale, ce qui peut aussi se comprendre. L'histoire locale fut tellement méprisée par l'histoire nationale qu'elle peut bien rendre de temps en temps la pareille à son tour : deux mots donc de ce quartier de Montchat, (jadis seigneurie,) quartier que la rue Ferdinan Buisson traverse de part en part.

    Dans le mont Montchat, ou mieux montchal, on retrouve le radical celtique cal, qui a pour signification rocher, forêt, ou marais. Ce vieil étymon se retrouverait aussi dans Caluire et dans Chalamont. Le fief de Montchat dépendit longtemps du mandement et du territoire de la commune de la Guillotière. Les premiers seigneurs connus sur ce terroir furent Pierre Prost et sa descendance, qu vendirent le domaine en 1534 à un concierge des prisons royales du nom de Jean Catherin. C'est ce sieur-là qui fit construire le château. Comme quoi, concierge, sous l'Ancien Régime, ça rapportait plus qu'à présent.

    En suivant les actes notariés, on trouve d'autres propriétaires, dont François Basset, échevin de Lyon, qui y reçut la reine Christine de Suède du 9 au 28 août 1657. Tout de même, la mairie du troisième pourrait honorer la mémoire d'un séjour aussi extraordiaire en baptisant l'une des ses rues : la rue Christine de Suède, c'est joli et ça intrigue. Mais la mairie du troisième arrondissement, comme toutes les mairies du monde, ignore superbement la fantaisie insoupçonnée de l'histoire des terres qu'elle administre. On se contentera de dire que c'est bien dommage en laissant à d'autres le soin de polémiquer.
    Pour reprendre notre affaire au point crucial où nous l'avions laissée, les Basset cédèrent Montchat aux Révérends Pères de la Congrégation des Feuillants le 14 mai 1682, qui le cédèrent ensuite à Jacques Besson, notaire royal, en 1689. Notaire, c'est mieux que concierge, et la boucle était bouclée. La petite fille du notaire, Louise Besson (1708-1781) épousa (1729) Mathieu Bonnand (1692-1711). Leur fils, Luc Bonand (1734-1802) fut le dernier véritable seigneur de Montchat. Ah, c'est vertigineux, l'histoire locale : tous ces gens qui existèrent vraiment, et donc la trace ne demeure que sous cette forme parcheminée sur le mode d'autrefois ! Au final et pour clore cette palpitante histoire, bien plus en tous cas que celle de Ferdinand, leur petite-fille Antoinette Bonand apporta le domaine en dot à son mari l'agent de change et maire de la Guillotière, Henri Vitton. La fille de ces derniers, Louise Françoise Vitton (1812-1831) épousa le maire qui succéda à son père (je n'invente rien), un certain Jean-Louis François Richard, originaire de Saint-Chamond, qui décéda en 1874. C'est de cette époque que date le lotissement du quartier, qui avait été rattaché à Lyon peu avant, en même temps que la commune de la Guillotière. De Besson en Buisson, l'histoire de cette rue est, on le voit, fort loquace.

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