Des médecins et des rues
Dans un numéro spécial de la Revue Lyonnaise de Médecine daté de 1958, je découvre un long article passionnant de Ch. Pétouraud et J Rousset, consacré aux médecins et aux rues de Lyon. Les auteurs remarquent dans un premier temps que les rues portant des noms de médecins auront rarement été débaptisées. Ils citent deux cas : la rue de Pavie (dédiée à Simon de Pavie, qui acheva la construction de l'église Saint-Bonaventure) et la rue Lazare Meyssonier (un protestant converti au catholicisme au XVIIIème siècle). Mais ces deux rues ayant en réalité été démolies lors de l'aménagement du quartier Grolée en 1890-1898, ils concluent en affirmant que « l'éponymat médical semble avoir été le plus durable de tous ». Sur environ quinze cents rues, places, cours, quais, boulevards, montées, impasses... portant des noms, ils en dénombrent quatre vingt baptisés de noms de médecins. Pour arriver à un tel chiffre, ils donnent parfois, c'est vrai, dans l'arbitraire : Clémenceau, par exemple, exerça, je l'apprends en les lisant, la médecine rurale en Vendée de 1869 à 1871; il empocha pour cela 1900 francs d'honoraires. Augagneur et Gailleton ont beau avoir été docteurs, ils ont passé plus de temps à faire de la politique qu'à soigner des malades, et c'est à leurs mandats de maires qu'ils doivent leur plaque respective. On conviendra que Saint-Alexandre et François Rabelais doivent leur passage à la postérité davantage au statut de martyre que gagna le premier au milieu des lions de l'Amphithéâtre et aux prodigieux géants que le second créa qu'à leur pratique purement médicale. Et de même Jakob Spon, est célébré davantage en tant que numismate, archéologue et érudit, que disciple d'Hippocrate. Enfin, pour ne citer que ces quelques exemples, le cours du docteur Long, qui traverse tout le quartier de Montchat, commémore davantage, hélas, l'assassinat par la Milice, le 23 octobre 1943, d'un actif résistant, que la carrière d'un humble et obscur praticien de l'ancien cours Henri. Nos deux enquêteurs ne sont pas dupes : « Il est bien certain que souvent on a fait à des médecins l'honneur de leur donner une rue pour des raisons très extra-médicales. » On sent cependant poindre une certaine vanité de corps, non dénuée d'humour : car n'en est-il pas de même, poursuivent-ils, pour toutes les professions : « A qui fera-t-on admettre que ce soit pour célébrer l'auteur de Nana que l'on a inscrit le nom d'Emile Zola sur les murailles étonnées de la rue Saint-Dominique ? » Certes ! Sur le catalogue de quatre-vingts noms, ils ne se reconnaissent donc seulement qu'une trentaine de collègues authentiques.
Parmi ces quelques obscurs et ces sans-grades, je n'en citerai qu'un, dont je trouve la notice qu'ils ont rédigée à sa mémoire fort jolie :
Bonhomme (rue du docteur ... IIIème) : « Georges Bonhomme, né le 9 juillet 1883 à Lyon. Interne suppléant des Hopitaux de Lyon. Médecin praticien de valeur, très dévoué à ses malades. Installé chemin des Platanes, 35, il fut extrêmement populaire dans ce quartier où il était aimé de tout le monde. Pour lui, la plaque bleue est un équivalent du ruban rouge. Mort à Lyon le 23 avril 1952. »