Mulet
Dans quelque ville que vous habitiez, je vous demande de bien chercher sur un plan : vous trouverez une rue Mulet. L'âne, la mule et le mulet furent si longtemps les dévoués serviteurs de l'ingrate espèce humaine que cette amitié, au moins sur les plaques des rues, a dû laisser quelques traces à l'heure du triomphe de l'engin motorisé dans chaque petit bourg de France. Sinon, c'est à désespérer de nous tous !
Le mulet de nos aïeux n'avait pas de moteur, mais il avait les yeux doux. Et pour cela, il mérite bien l'attention ridicule de ce pauvre billet.
A Lyon, la rue du Mulet se trouve dans le premier arrondissement. Elle est minuscule et étroite, très étroite : genre de rue coupe-gorge que dut détester le bourgeois Stendhal lorsqu'il évoque ces rues lyonnaises humides et sales où n'entre jamais la saine lumière. Pas une seule boutique, alors que nous sommes en plein centre-ville et que la rue relie des artères très commerçantes (Edouard Herriot et République). Très peu de largeur si bien que les voitures hésitent à s'y faufiler (devons-nous y lire une sorte de victoire post-mortem du brave mulet ?)
Au seizième siècle, toutes les chroniques la dépeignent comme un véritable repaire de vagabonds, de ribauds, de paresseux, jouissant de quelque droit d'asile comme à Paris ceux du carreau du Temple. Les muletiers venant par le Rhône y passent pour rejoindre les foires et une auberge a pour enseigne le fidèle animal. L'antiquaire archéologue Jakob Spon habita dans cette rue, ainsi qu'Adamoli, agent de change et banquier à qui on donna une rue des pentes de la Croix-Rousse, un dessinateur de la fabrique qui fut jadis illustre, Claude Bugnard, et un avocat du nom de Repiquet, lequel fut sénateur. Paix à son âme ! Voici pour les célébrités locales. Ah, pour finir : au 14 de la rue Mulet naquit en 1808 le peintre Simon Saint-Jean. Son père était tonnelier.